Scénario


Les dialogues sont en laotien sous-titrés en français, à l’exception des scènes avec la femme française. Quand Hèk ou un lao francophone parle en français, cela est indiqué.

1 - AEROPORT DE VIENTIANE – EXT. JOUR / MATIN
Petit matin. Hèk fume une cigarette en faisant des lents va-et-vient autour de sa valise. Une femme française fume en sa compagnie.

La femme française : – Vous êtes sûr, vous ne voulez pas partager un taxi avec moi ?
Hèk : – Mon frère vient me chercher. Il est chauffeur de tuk tuk.
La femme française : – Alors partageons le tuk tuk.
Hèk : – Je suis désolé… Je crois que… Enfin… Ce n’est pas possible… Ma famille m’attend… le programme est chargé…


2 - RIZIERE – EXT. JOUR / MATIN
Dans le calme d’une rizière au petit matin, Hé (le frère de Hèk) regarde de tous les côtés. Il cherche quelque chose, en avalant des grandes bouffées d’air pour récupérer son souffle. Soudain, il entend des bruits dans l’eau, et voit bouger des plants de riz au loin. Il repart en chasse.
On ne sait pas après quoi il court, jusqu’au moment où on voit un cochon gambader dans les rizières.


3 - MAISON DE LA RIZIERE – EXT. JOUR / MATIN
Le cochon est installé dans le tuk tuk de Hé, une corde en guise de laisse.
Hé est trempé.

Dialogue en laotien sous-titré
Le paysan : – Un million de kips.
Hé : – On avait dit sept cent mille… Ce cochon ne vaut pas plus.
Le paysan : – Oui, mais il a fait des ravages dans les rizières.
Hé : – Ce n’est pas de ma faute s’il s’est sauvé.
Le paysan : – Ce n’est pas la mienne non plus. Neuf cent mille ?
Hé : – Huit cent mille…
Le paysan : – Huit cent cinquante et on n’en parle plus…


4 - AEROPORT DE VIENTIANE – EXT. JOUR / MATIN

La femme française : – Vous pouvez me dire quels sont les lieux à visiter ?
Hèk : – Non, désolé. Je suis parti il y a trente-cinq ans. C’est la première fois que je reviens.

Pause

La femme française : – Je peux vous poser une question ?
Hèk : – Oui.
La femme française : – Pourquoi vous avez attendu si longtemps avant de revenir ?
Hèk : – Il est trop tôt pour que je puisse vous répondre. Mais je me pose la question aussi.

Ils fument en silence. Le calme règne aux abords du petit aéroport.

La femme française : – Merci pour la cigarette.
Hèk : – Si on se revoit, c’est vous qui me direz ce qu’il y a à visiter !
La femme française : – Oui, si on se revoit.

La jeune femme se dirige vers un taxi. Avant d’embarquer, elle fait un signe de la main à Hèk.

Le taxi démarre. Hèk le regarde s’éloigner.


5 – AEROPORT VIENTIANE – EXT. JOUR / MATIN
Hé arrive à l’aéroport, il passe au ralenti devant l’entrée principale, là où son frère l’attendait. Ensuite, il rejoint le groupe des chauffeurs de tuk tuk.
Dialogue en laotien sous-titré

Hé (parlant aux chauffeurs) : ­– Vous n’avez pas vu un Lao falang ?
Un chauffeur (en parlant du cochon) : – Il y en a un dans ton tuk tuk. La blague provoque un rire sonore des autres chauffeurs.
Hé : – Rigolez pas les gars, je cherche mon frère. J’ai au moins une heure de retard, et je ne sais même pas à quoi il ressemble !
Deuxième chauffeur : – A toi, en moins paysan ! Rire général.
Troisième chauffeur : – Il est parti à pied. Tu le trouveras par là (Il indique de la main la direction de la ville). Il ne doit pas être loin.


6 – QUARTIER DE L’AEROPORT – BAR A SOUPE – EXT. JOUR / MATIN
Hèk s’est endormi en terrasse d’un bar à soupe, la tête posée sur ses bras croisés.
Son frère Hé passe au ralenti en tuk tuk. Quand il aperçoit Hèk, le seul lao falang en costume parmi les clients laotiens, il gare son tuk tuk sur le bord de la route. Puis il s’installe sur une chaise en face de son frère étranger. 
Dans le dialogue qui suit, Hé parle en laotien ; Hèk parle en français et dans un lao rudimentaire.

: – C’est toi, mon grand frère Hèk ? Grand frère Hèk, réveille-toi. (Il lui touche l’épaule) Ton petit frère Hé est là.
Hèk (en se frottant les yeux) : – Salut petit frère (en français). Sabaïdi, nong (« Bonjour petit frère » en laotien).
Hé : – Tout le monde t’attend à la maison !

Hèk dévisage Hé.

Hèk : – On dirait que tu as grandi !
Hé : – Oui, mais tu es toujours le plus grand !

Les deux frères se lèvent. Ils tombent dans les bras l’un de l’autre.

Hèk : – Comment va maman ? 
Hé : – Elle est comme d’habitude. Elle ne sait pas qu’elle est malade.
Hèk : – Que disent les médecins ?
Hé : – Le diagnostic n’a pas changé. Elle n’en a plus pour longtemps.

Pause.
Il monte de la ville comme une longue respiration.

Hé : – Allons-y. Nous sommes en retard.
Hé charge la valise de Hèk dans le tuk tuk. Il l’invite ensuite à venir s’asseoir en face du cochon.


7 – RUES DE VIENTIANE – EXT. JOUR / MATIN
La radio du tuk tuk crache de la musique thaïe. Le cochon balance sa tête au rythme de la musique. A l’avant du tuk tuk, son frère lui parle sans discontinuer. Ses paroles se mélangent aux mélodies de la musique thaïe et aux couinements du cochon. Hèk regarde la ville avec émerveillement.


8 – MAISON FAMILIALE – EXT. JOUR / MATIN
L’arrivée du tuk tuk à la maison familiale est triomphale.
Toute la famille est là : la mère, les frères et sœurs, une multitude d’enfants que Hèk ne connaît pas. Un grand éclat de rire accueille le « Français ». On moque son teint clair, ses beaux habits et sa timidité. Quant au cochon, il est emmené par un groupe d’hommes joyeux qui lancent des blagues sur sa silhouette grassouillette.


9 – JARDIN - MAISON FAMILIALE – EXT. JOUR / MIDI
Le cochon grille sur une grande broche installée au fond du jardin. Une danse s’improvise autour du festin qui se prépare, menée par un musicien qui joue du khène (l’orgue à bouche laotien). Hèk suit le mouvement général sans être vraiment dans le rythme. Papao, une jeune nièce, ne le quitte pas, elle a une tâche très précise : chaque fois qu’il boit une gorgée de sa bière, elle lui en reverse, de sorte que son verre est toujours plein et qu’il n’a pas l’impression de boire beaucoup. Mais, très vite, l’alcool produit ses effets. Cela a le don de mettre Hèk à l’aise. Quand la bouteille est vide, le « Français » se fond dans la danse sans peur du ridicule.
La mère de Hèk est toute à la joie de regarder son fils retrouvé. Elle est entourée d’autres vieilles femmes qui applaudissent aux maladresses du Lao falang.


10 – MAISON FAMILIALE – SALON  – INT. JOUR 
Hèk est endormi sur une natte, la tête posée sur les jambes de sa mère. Celle-ci est assise contre la rampe de la terrasse en surplomb du jardin. La fête continue dehors comme dedans mais, l’alcool aidant, l’ambiance a baissé en intensité. De nombreux invités sont endormis, comme Hèk, à même le sol. Sa mère lui parle dans son sommeil en laotien.



La mère : – Oh, mon petit garçon, comme je suis contente que tu sois revenu. Je ne croyais plus que tu reviendrais un jour. Tu devais nous en vouloir beaucoup pour avoir tant attendu avant de revenir. Mais comment te blâmer ? Ton père est le seul responsable. J’ai pleuré trois jours et trois nuits quand j’ai appris que tu étais parti.

Une vieille femme vient se joindre à la mère de Hèk.

La vieille femme : – Il dort bien ton petit Hèk.

La mère de Hèk chante une berceuse.


11 – MAISON FAMILIALE – SALON – INT. NUIT
Hèk est allongé, immobile, les yeux ouverts. Le silence règne. Sa mère et son frère Hé sont endormis à côté de lui. Sa petite nièce Papao dort également un peu plus loin, à même le sol.
Les sons du dehors (petit vent, insectes, grenouilles) ressuscitent des souvenirs d'enfance : il se revoit petit garçon dormant sur cette même terrasse dans la compagnie tranquille de son père et sa mère. (Flash back : le temps de cette réminiscence, on voit Hèk enfant dans la même position, les yeux ouverts tandis que son père, sa mère, ses frères et sœurs dorment à ses côtés sur la terrasse).


12 – MAISON FAMILIALE – EXT. JOUR
Le jour s’est levé. Hèk ouvre les yeux. Il est seul sur la terrasse. On a pris soin de couvrir son corps avec une couverture. Il entend les bruits du voisinage.

Son frère Hé apparaît habillé et peigné avec soin.

: –  Tu te souviens où tu es ?
Hèk : – Je me souviens que j’ai beaucoup bu !
: –  Mère est partie à la pagode.

Hèk s’assoit et s’adosse contre le mur.

Hèk : – Mère va tous les jours à la pagode ?
: –  Oui, pour parler aux esprits des ancêtres.

Hèk se lève. Il regarde une vieille photo accrochée au mur. On voit toute la famille réunie dans le jardin.

Hèk : – Tu n’étais pas encore né...
Hé : –  Tu te trompes… Là c’est moi, sur les genoux de maman. Toi, tu étais déjà parti.

Hèk s’éloigne vers le vide de la terrasse. Il regarde en direction de la route. De la pagode voisine, on entend les percussions sourdes des gongs.
Une femme laotienne fait son apparition, elle entre dans le jardin par un passage et le traverse en longeant le bord du fond. Hèk la suit du regard. Il est interrompu dans sa rêverie par Hé.

Hé: –  C’est la voisine. Elle n’a pas de mari. Elle m’a posé beaucoup de questions sur toi !
Hèk (en français) : – Je préfère ne pas savoir ce que tu lui as dit sur mon compte.
: –  Grand frère, je ne comprends rien quand tu parles en français.
Hèk (en laotien) : – Ce n’est pas grave. Un jour on parlera la même langue.
: –  Tu parles encore bien lao. Mais ton accent est bizarre. Des fois, on croirait entendre un Soviet ! (Soviet est le mot  utilisé au Laos pour désigner les Russes).

La blague fait sourire Hèk.

Hé : Je dois aller travailler.
Hèk : – Je viens avec toi.


13 – ROUTE DU VILLAGE - RUES DE VIENTIANE – EXT. JOUR
Hèk s'est installé dans le tuk tuk, tout près de son frère Hé. La traversée du village soulève la route de terre rouge en poussière. Puis la traversée des rizières ouvre l'espace jusqu'à l'horizon. A mesure qu'ils s'approchent de la ville, le trafic augmente et les petites échoppes de bord de route sont de plus en plus nombreuses. Enfin, au carrefour qui marque l'entrée de la ville, c'est l'embouteillage. Hé arrête le moteur du tuk tuk.

Une vieille dame monte.

La vieille dame : –  Marché du matin...
: –  Ça va.

Un homme monte dans le tuk tuk, costume noir impeccable.
L'homme en costume : –  Je vais à la banque pour le développement du commerce extérieur.
Hé : –  Ça va. 
La vieille dame : –  A cette vitesse-là, on peut aller partout. Il suffit d’avoir de l’imagination !
L'homme en costume : –  Ne soyez pas impatiente, grand-mère. Le trafic va reprendre.
La vieille dame : –  Ne t’inquiète pas, petit. Quand on est pauvre, on n’est jamais pressé. Nest-ce pas, jeune homme ! (en s’adressant à Hèk)
Hèk (en mauvais laotien) : –  Moi, pas comprendre…
La vieille dame : –  Tu as bien de la chance de ne pas comprendre…





14) VIENTIANE – BORD DU MEKONG – EXT. JOUR
Il est deux heures de l’après-midi, au plus fort de la chaleur, Hèk fait la sieste dans le tuk tuk, à l’ombre d’un frangipanier, au bord du Mékong. Hé mange une soupe vietnamienne à quelques mètres de là, à la terrasse d’un bar à soupe, repère des chauffeurs de tuk tuk. Un collègue vient le rejoindre.

Le collègue : –  Il se laisse aller ton client.
Hé : –  C’est mon frère. Il vient de France.
Le collègue : – Il dort tout le temps ?
Hé : – Décalage horaire…
Le collègue : – C’est ton grand ou ton petit frère ?
Hé : – Grand frère… Le troisième de la famille, juste avant moi.
Le collègue : – C’est la première fois que je le vois.
Hé : – Première fois qu’il revient au pays.
Le collègue : – Ça se voit !
Les deux amis partent d’un grand fou rire. C’est à ce moment que Hèk se réveille. Il observe la scène depuis le tuk tuk en se demandant où il est. Puis il rejoint tant bien que mal les deux compères.

Le collègue (en français) : – Bonjour, bienvenue au Laos !
Hèk (surpris) : –  Vous parlez bien français !
Le collègue (en français) : – J’ai appris au lycée ; de mon temps, tous les cours étaient en français. Ce n’est plus le cas maintenant, et les jeunes ne veulent apprendre que l’anglais. C’est comme ça !
(en laotien) : –  Tu veux une soupe ?
Hèk (en laotien)  : – Oui, sans piment.

D’un signe de la main vers la cuisine, le collègue passe commande d’une soupe.

Hé (en laotien, criant à la serveuse) : –  Sans piment !
Hèk (en laotien) : – Merci.
Le collègue (en français) : – On ne mange pas de piment en France ?
Hèk : – Non, pas comme ici.
Le collègue (en français) : – On dit pourtant qu’on mange bien en France…
Hèk : – On peut bien manger sans se brûler la bouche.
(en laotien) : –  Qu’est-ce qu’il dit ?
Le collègue (en laotien) : –  Il dit qu’on ne mange pas bien en France !

Les deux chauffeurs de tuk tuk rient de la blague, Hèk essaie de la comprendre.
La serveuse amène la soupe.

Hèk (en laotien) : – Merci.
La serveuse (en laotien) : – Sans piment. Mais c’est moins bon !
Hèk (en laotien) : – Ça va comme ça…

Hèk mange la soupe. Il manque cracher la première gorgée tellement elle est pimentée.
Tout le monde rit sauf lui.

Hèk (en laotien) : – C’est ça, sans piment ?


Le collègue goûte la soupe.

Le collègue (en français) : – Il n’y a pas de piment là-dedans !
Hèk (en français, en se penchant vers le bol) : – C’est quoi ces tâches rouges qui flottent ?
La serveuse (en laotien) : –  Un peu de piment qui restait dans la casserole.
Le collègue (en français) : –  Elle dit qu’il restait un peu de piment au fond de la casserole.
Hèk (en français) : – Demande-lui pourquoi elle n’a pas lavé la casserole.
Le collègue (en laotien, à la serveuse) : –  Il veut savoir pourquoi tu n’as pas lavé la casserole.
La serveuse (en laotien) : –  C’est meilleur si on ne lave pas.
Les trois Laotiens rigolent, le « Français » se contente de sourire en renonçant à comprendre.
La serveuse s’éloigne.


15) BOUTIQUE, FORET, PAGODE – EXT. JOUR
Le tuk tuk roule sur un chemin de terre entre rizières et forêt. Au détour d’un virage, il s’arrête devant une boutique. Hé achète une petite bouteille de lao lao, le « whisky » local, du poisson grillé, du riz, des piments, des bougies et de l’encens. Le tout est mis dans un sac en plastique.
Ils repartent à pied.

Au bout du chemin, apparaît une pagode. A aucun moment, Hé n’explique ce qu’ils viennent faire là. Hèk le suit sans essayer de comprendre. Il marche derrière son frère qui tient le sac en plastique. Dans la cour de la pagode, le calme règne. Enfin, ils s’arrêtent à l’endroit où le mur d’enceinte est fissuré par un arbre. Alors Hé se tourne vers Hèk :

: –  Papa habite là.

Tout ce que Hèk peut voir, c’est une urne en métal rouillée, un verre vide, des assiettes contenant des restes de bougies et de la nourriture séchée visitée par les fourmis.
Hé jette les restes dans les hautes herbes et va laver le verre et les assiettes au puits. Ce faisant, il discute avec des novices occupés à faire leur toilette du soir.
Puis il revient avec les assiettes nettoyées. Il y dispose le contenu de son sac en plastique, le riz dans une assiette, le poisson et les piments dans une autre, l’alcool dans le verre. La bouteille n’étant pas vide, il la glisse dans sa poche de pantalon.
Il allume des bougies qu’il dispose sur le bord des assiettes en faisant couler la cire.
Il allume des bâtons d’encens qu’il plante dans la terre à côté de l’urne.
Ayant accompli tous les rites, il engage la conversation avec son père mort.

: –  Père, comment tu vas ? A la maison ça va bien, maman est contente parce que Hèk est revenu. On a du mal à croire qu’elle soit malade. Les médecins sont pourtant certains qu’elle a moins d’un an à vivre. On a tué un cochon pour fêter le retour de Hèk, toute la famille est venue et tout le village. On a mangé et dansé toute la journée, jusque tard dans la soirée. Tu as le bonjour de ton copain Souk. Il m’a dit qu’il lève toujours son verre à ta santé chaque fois qu’il boit. Il a tellement bu que tu dois être soûl toi aussi !

En se tournant vers son frère :
: –  Tu veux parler à papa ?

Hèk hésite. Finalement, il s’approche de l’urne.

Hèk (en français) : –  Bonjour père. Ça fait longtemps que j’aurais dû venir te voir. J’espère que tu ne m’en veux pas. Maintenant, maman est malade. Je vais la perdre aussi. Je m’en veux d’avoir tant tardé à revenir. Et maintenant que je suis revenu, j’ai l’impression de n’être jamais parti. C’est dommage que tu ne sois plus là, personne dans la famille ne parle aussi bien français que toi.

Hèk a parlé d’une voix murmurée, comme se parlant à lui-même. Hé est resté à ses côtés.


16) MAISON FAMILIALE – TERRASSE – EXT. NUIT
Les deux frères jouent aux dames à la lumière d’une bougie, en buvant de la bière. Le damier est dessiné à la main sur un carton ; des capsules de bouteilles de bière font office de pions. La mère est assise près d’eux. Elle parle à voix haute à son mari mort, de sorte que ses deux fils peuvent aussi l’entendre.

La mère : – Oh, mon mari ! Où est-il passé le petit Hèk qui me tenait la main pour aller à l’école ? Maintenant, c’est un homme qui dépasse tous ses frères d’une demi-tête. Il est bien habillé, il a des délicatesses de jeune fille mais il ne sait pas faire les trois prosternations. Il a tout à apprendre… Voilà le résultat de tes rêves de voyage… Tout ce que tu as réussi, c’est à faire de notre Hèk un lao falang. Je t’en ai voulu longtemps, mais tu es mort maintenant, je ne vais pas t’embêter avec cette vieille histoire. L’important, c’est que notre fils soit revenu.

Silence.
Hé ouvre une bouteille de bière.
Hèk allume une cigarette.

La mère : – Si tu n’en avais pas fait qu’à ta tête, tu ne serais pas allé te faire opérer en Thaïlande. Et tu serais peut-être encore là pour revoir ton fils. J’aurais tellement aimé aller avec toi dans ton village pour que tu puisses mourir en paix. Je vais demander à Hèk de te ramener chez toi.

Les deux frères ont écouté le monologue de la mère sans l’interrompre. Quand la mère se tait, on entend de nouveau le chant des insectes, et le clic clic des pions sur le damier. La flamme de la bougie projette sur les murs et le sol des ombres tremblantes.

La mère (interpellant Hèk) : – Hèk, tu veux bien ramener ton père dans son village ?

Les deux frères se regardent.

Hé : –  Mère, j’irai avec grand frère ramener papa dans son village natal.


17) MAISON FAMILIALE – TERRASSE, JARDIN, ROUTE – INT. et EXT. JOUR
Le doyen du village accomplit les rites d’une cérémonie de bénédiction du voyage.
Hèk imite les gestes de son frère Hé car il ignore tout du rituel.
Les psalmodies initiées par le doyen sont reprises en chœur par toute l’assemblée.



Après la cérémonie, l’urne est embarquée sur le tuk tuk, attachée solidement à un siège pour ne pas se renverser.

Hèk s’installe en face de son père.

La mère, aidée par la jeune Papao, charge des paniers de nourriture.

Vient enfin le moment du départ.
Hèk prend longuement sa mère dans ses bras.

La mère : –  Merci de faire ce voyage. Votre père doit être fier de vous. Moi, je suis trop vieille pour un si long voyage.
: –  Tu dois te reposer, mère. Papao s’occupera de toi.
(Interpellant Papao) Papao ! Prends bien soin de Grand-mère.
Papao : –  Oui, Oncle Hé. Je vais la bichonner comme un bébé !

Hèk s’installe dans le tuk tuk. Hé peut démarrer et le voyage commencer. La route de terre rouge se soulève en poussière sous les roues du tuk tuk. Derrière le nuage de  poussière, Hèk voit sa famille réunie au bord de la route pour leur dire au revoir.


18) FORET – EXT. JOUR
Le tuk tuk roule au ralenti en suivant les courbes du chemin. La forêt est dense, très peu de lumière parvient jusqu’au sol. Quand Hé arrête le moteur du tuk tuk, on mesure au silence qui s’installe l’étendue de la forêt.
Hé dépose l’urne dans un autel dressé au pied d’un arbre géant. Il allume deux bougies et un bâton d’encens. Enfin, il se prosterne trois fois devant l’autel. Hèk fait de même.

Ensuite, les deux frères installent leur pique-nique sur une grande natte. C’est un véritable festin que leur mère a préparé. Comme le veut la coutume, Hé sert d’abord son père.
Hèk s’apprête à manger quand, soudain, son frère lui fait comprendre qu’ils doivent s’en aller.
Hé : –  Grand frère Hèk, on ne peut pas rester là.
Hèk (en laotien) : – Pourquoi, qu’est-ce qui se passe ?
Hé : – Cet arbre est hanté. Partons avant que les esprits ne se réveillent.

Hèk se lève sans rien dire. Il marche autour de l’arbre pour essayer de comprendre ce que veut dire Hé. Ce dernier s’active pour tout ranger dans le tuktuk.

L’arbre est si haut que Hèk doit pencher sa tête très en arrière pour apercevoir le sommet. Il se recule pour tenter d’avoir une vue d’ensemble de l’arbre.

La lumière du jour filtrée par les feuillages est une pure splendeur : rien qui évoque pour Hèk l’idée d’esprits maléfiques.

Hé a fini de ranger les affaires dans le tuk tuk. Il va maintenant chercher l’urne.

Hèk (laotien approximatif) : – Petit frère, pourquoi tu dis que cet arbre est hanté ?
Hé : – L’encens et les bougies se sont éteints trop vite.

Sans plus d’explication, Hé va chercher l’urne.

Le tuk tuk repart. Hèk laisse longtemps son regard s’attarder sur la vision de l’arbre qui s’éloigne avant d’être englouti par la forêt.


19) CABANE – RIZIERE – EXT. JOUR
La cabane, plantée au bord d’une rizière, sert de lieu de repos pour les paysans. C’est une sorte de terrasse couverte, point de vue panoramique sur l’espace alentour. Hé discute avec une femme. Cette dernière allaite un bébé emmailloté. Hèk marche à quelques mètres de la cabane en fumant une cigarette.

Dialogue en laotien entre Hé et la femme :

La femme : – Moi, je ne m’approche jamais à moins de cinq cents mètres de cet arbre.

Hé éclate de rire.
Hé : – Nous, on s’est installé juste en dessous. J’en tremble encore !

Tous deux éclatent de rire.
La femme : – Si ta mère apprenait ça, elle n’aurait pas assez d’allumettes pour brûler tous les encens contre le mauvais sort.
Hé : – Je suis sûr qu’elle sait déjà.
La femme : – S’il fallait payer pour parler avec les morts, elle serait ruinée depuis longtemps !

Nouvel éclat de rire.

La femme : – Pourquoi elle n’est pas venue avec vous, ta mère ?
Hé : – Elles est vieille maintenant. Il faut qu’elle se repose.
La femme : – Cela fait six mois que je ne l’ai pas vue. Dis-lui que ses visites me manquent.

Hé : – Je n’y manquerai pas. S’adressant à Hèk : Viens boire un verre de bière, grand frère.

Hèk s’approche timidement.

La femme : – Il ne parle pas ton frère ?
Hé : – Il a perdu l’habitude de parler lao.

Hé pose un verre de bière à côté de Hèk.

Hèk (en laotien) : – Merci.
La femme : – Pourquoi il ne parle pas mieux ?
Hé : – Parce qu’il a grandi en France. Mais il parle très bien français.
La femme : – Heureusement pour lui !
Hé : – Et il comprend aussi le lao quand je lui parle. Pour les autres, je sais pas.

Les deux frères trinquent.
La femme berce son bébé.
Hèk contemple le spectacle de gens travaillant dans les rizières.

La femme montre une direction d’un mouvement de tête.
La femme : – Je crois que ton frère aime bien regarder ma fille Noï…
Hé : – C’est vrai qu’elle est jolie, Noï.

Hèk essaie de garder une certaine contenance, sans y parvenir.

La femme : – S’il veut, je la lui donne.
Hé : – Il est français maintenant, on ne peut pas lui parler comme ça.

Maintenant, Hèk prend le parti de faire comme s’il ne comprenait rien du tout. Il regarde tranquillement Noï, la jolie fille des rizières, silhouette lointaine inscrite dans le paysage.

La femme : – Vous avez encore beaucoup de route ?
Hé : – Je ne sais pas, ce n’est pas important… C’est pour papa qu’on fait ce voyage, les morts ne sont pas pressés.
Hèk : – N’oublie pas que Mère nous attend à la maison.
Hé : – Grand frère a raison. C’est pour elle aussi que nous faisons ce voyage.
La femme : – Je vais prier pour que ton tuk tuk ne tombe pas en panne !
Hé : – Merci. Nous aurons besoin d’un peu de chance pour arriver jusque chez papa !


20) RUES D’UN VILLAGE DE BORD DE ROUTE – EXT. NUIT
Les deux frères marchent au hasard dans les rues du village. Hé porte l’urne contre lui.
Hé : – Tu connais ce village, papa ?

Silence

Hèk : – Qu’est-ce qu’il dit ?
Hé : – Il dit que oui. C’était sur son trajet vers la capitale.

Le village est si peu éclairé qu’on perd souvent les silhouettes des deux frères.
Parfois, s’échappe d’une maison une trouée de lumière.


21) BAR A NOUILLES – VILLAGE DE BORD DE ROUTE – INT. NUIT
C’est un bar qui n’a de bar que le nom. On se croirait chez quelqu’un. Hé et Hèk sont les seuls clients. Ils ont fini de manger. Un petit garçon vient débarrasser.

Hé : – Petit, donne-nous deux bières et un verre de lao lao.
Le petit garçon  : – Nous n’avons plus de lao lao. Mais je peux aller en acheter au voisin.

Le petit garçon emmène les bols vides à la cuisine.
Un camion traverse le village, son bruit recouvre tout.
Après le passage du camion, une vieille dame vient servir les bières. Elle pose une grande bouteille devant Hé et Hèk.

La vieille dame : – Elles étaient bonnes mes soupes ?
Hé : – Oui, on s’est régalé. Papa doit être content.

Il montre l'urne posée en bout de table. A côté de l’urne, un bol de soupe refroidit. Une petite bougie répand sa faible lueur.

La grand-mère sort des bougies de ses poches. Elle les allume et les pose à côté de l’urne.
Enfin, elle récite une prière.

Le petit garçon revient de chez le voisin avec une bouteille de lao lao. 
Il la donne à la grand-mère.
La vieille dame : – Va chercher deux verres.

La grand-mère s'assoit à la table, en face des deux frères. 
Le petit garçon revient de la cuisine. Il donne deux verres à la grand-mère.

La vieille dame : – Vous dormez où ce soir ?
Hé : – Dans mon tuk tuk.
La vieille dame : – Il y a de la place chez nous.
Hé : – Ne vous inquiétez pas, grand-mère. On ne risque rien.
La vieille dame : – Je ne t'ai pas demandé ton avis, jeune homme. Ton père est ici chez lui.
Hé : – Veuillez me pardonner. Je ne voulais pas vous offenser.
La vieille dame : – Tu fais trop de manières. Et pense aussi à ton frère. Je vois bien qu'il n'a pas l'habitude de la vie rude des paysans de ton espèce.
Hé : – Je ne suis pas un paysan.
La vieille dame : – Il n'y a pas de honte à l'être. Je veux seulement dire que tu dois des égards à ton aîné ainsi qu'à ton père.
Hé : – Vous avez raison, grand-mère.

La grand-mère sert deux verres de lao lao. Elle en pose un à côté de l’urne et garde l’autre pour elle.

La vieille dame : – A ta santé grand-père. J’espère que tu seras bien chez moi.

Elle appelle son petit-fils.

La vieille dame : – Kham, prépare la chambre de ton père pour nos invités !

Le petit garçon était en train de faire son travail d'écolier. Il laisse ses affaires sur le sol et s'exécute.

Hé : – Nous ne voulons pas prendre la chambre de son père. Une natte sur la terrasse nous suffira.
La vieille dame : – Son père travaille comme journalier à cinquante kilomètres d'ici. Autant que sa chambre serve. Dites-moi plutôt où vous allez comme ça…
Hé : – Nous ramenons papa dans son village Thai Dam du côté de Muang Sing. Il n'y est jamais retourné après qu'il ait rencontré maman, il y a soixante ans.
La vieille dame : – Le chemin est encore long jusque là-bas.
Hé : – Nous couperons par la forêt.
La vieille dame : – C'est une erreur à éviter.
Hé : – On s'en souviendra quand on sera perdu.
La vieille dame : – Tu as tort de faire le malin.
Hé : – Je suivrai votre conseil.
La vieille dame : – Ne le fais pas pour moi mais pour ton père.
Hé : – Vous êtes là depuis longtemps ?
La vieille dame : – J'ai servi ma première soupe dans cette maison quand j'avais 9 ans. J'ai maintenant 79 ans.
Hé : – Papa a peut-être goûté une de vos soupes.
La vieille dame : – Quel était son métier ?
Hé : – Marchand ambulant.
La vieille dame : – Il s'est forcément arrêté une fois chez moi. Et ceux qui s'arrêtaient une fois revenaient les fois suivantes.

Hé montre à la grand-mère une photo de son père. On le voit posant fièrement devant son chariot rempli de marchandises.

La vieille dame : – Je me souviens de lui. Il aimait faire la sieste dans un hamac avant de reprendre la route. Toujours souriant, jamais pressé.
Hé : – C'est bien son portrait.
(Appelant le petit garçon) Hé, petit, sers un autre verre de lao lao à mon père.
La vieille dame : – Il a perdu sa langue, ton frère ?
Hé : – Il a grandi en France. C'est son premier retour au pays.
La vieille dame : – Cela n'a aucune importance. Le pays est le même, il est la même personne que quand il est parti. Vous vous ressemblez beaucoup.

Le petit garçon apporte un verre de lao lao qu'il dépose devant l'urne à côté du premier verre. 

La vieille dame : – Je dois vous laisser, il faut que je prépare les pâtes pour demain. Ne partez pas sans me dire au revoir.
Hé : – Nous devons partir très tôt.
La vieille dame : – Je me coucherai après vous et me lèverai avant.
Hé : – Alors, à demain, grand-mère. Merci infiniment.

Hèk appelle le petit garçon.

Hèk : – Petit, amène une autre bouteille de bière.
Hé : – Tu sais dire les choses importantes !
Hèk (en laotien) : – Oui. Et grand-mère a raison, on se ressemble beaucoup.


22) BAR A NOUILLES – VILLAGE DE BORD DE ROUTE – EXT. NUIT matin
Hé et Hèk saluent la grand-mère en levant leurs mains jointes vers leur visage.
La grand-mère leur donne un panier de riz gluant, et des sacs en plastique contenant de la soupe de légumes.
Quand les deux frères prennent congé, la grand-mère continue à préparer ses soupes. La fumée des marmites monte en formant des volutes tournoyantes. Le silence règne dans la maison. Au loin, on entend le gong du matin de la pagode du village.


23) GRANDE ROUTE - EXT. JOUR
Le tuk tuk roule à pleine vitesse : 40 km/h. Son bruit de tondeuse ne laisse rien entendre des paysages traversés. Hèk dort en chien de fusil à l'arrière du tuk tuk, en essayant de ne pas tomber de la banquette. Il tient l'urne serrée contre son corps. Il est ballotté de gauche à droite par les mouvements du véhicule.

Une jeune femme lui ayant fait signe, Hé s'arrête pour l'embarquer. Il réveille son frère en le secouant à l'épaule.

La jeune femme est une beauté sans le sou. Ses vêtements sont rapiécés et sales, mais ses cheveux sont noués avec soin. Visage aux traits réguliers, indéchiffrable. Hèk la regarde d'abord par des coup d'oeil furtifs. Puis il n’ose plus la regarder. La fatigue du voyage se lit sur son visage.

La jeune femme descend quelques kilomètres plus loin. 
Le tuk tuk redémarre, roule sur cinquante mètres avant de s'arrêter en hoquetant.

Hé : – Plus d'essence.

Hèk descend du tuk tuk. Il regarde autour de lui. Rien qui ressemble à une station d'essence.
La jeune femme arrive à leur hauteur.
La jeune femme : – Suivez-moi.

Hé prend l'urne avec lui et les deux frères suivent la jeune femme qui marche cinq mètres devant eux. Un peu plus loin, elle coupe à travers une haie de jasmin. Ils la suivent ainsi jusqu'à une boutique, sorte d'épicerie avec presque rien sur les étals. La jeune femme prend sur une étagère une bouteille en plastique remplie d'essence.

La jeune femme : – Vous avez de la chance, c’est ma dernière.
Hé : – C’est toi, notre chance.
Hé lui donne un billet.

Hèk : – Je suis fatigué. Faisons une pause.
Hé : – On fera une pause plus tard. Il faut d'abord trouver une station pour faire le plein avant que la nuit n’arrive.
Hèk ne discute pas la décision de son frère. Il a pour la belle un regard plein de tristesse avant de partir.


24) STATION D'ESSENCE - EXT. JOUR fin de journée
Pendant que Hé fait le plein d'essence, Hèk boit une bière à la terrasse du bar de la station.
Puis, après avoir garé le tuk tuk, son frère vient le rejoindre. Ils trinquent.

Hé : – Si la fille de tout à l'heure te plaît, on peut rencontrer ses parents au retour.

Hèk n'a pas tout saisi. Mais il a repéré le mot "phousao" qui veut dire belle et jolie jeune femme.

Hèk : – Quelle phousao ?
Hé : – La fille de tout à l'heure, on peut rencontrer ses parents au retour.
Hèk : – Pourquoi tu me parles des parents de la fille ?
Hé : – On fait comme ça ici.
Hèk : – Pas envie de voir ses parents.
Hé : – Alors oublie la fille.
Hèk : – J'avais déjà oublié.
Hé : – Menteur ! Comment tu fais en France ?
Hèk : – En France, j'évite de croiser les parents.
Hé : – Drôle de pays... (En se tournant vers l'urne) Hé, papa, tu ne sais pas où tu as envoyé mon grand frère !


25) LUANG PRABANG - GUEST HOUSE - CHAMBRE - INT. NUIT
C'est la première fois que Hé va dormir dans une guest house. Il inspecte la chambre, ouvrant les placards un par un. Enfin, il examine le contenu du frigo.

Hé : – Il y a du champagne français !
Hèk (en français) : – Bonne idée, buvons du champagne. Nous l’avons bien mérité !
Hé : – 40 dollars...
Hèk (en français) : – Il faut espérer qu’il soit bon.

Hé donne la bouteille à Hèk. Puis deux flûtes. Hèk s'installe dans le lit pour ouvrir la bouteille.

Hèk (en lao) : – Goûte-moi  ça...

Hé boit cul sec.

Hé : – Je vais plutôt prendre une bière.
Hèk (en français) : – Je vais mettre papa dans le coffre-fort. Faut pas qu'il voie ça !

Il se lève pour mettre l'urne dans le coffre fort.




26) LUANG PRABANG - GUEST HOUSE - CHAMBRE - INT. NUIT
Les deux frères se sont endormis tout habillés dans le même lit. La bouteille de champagne est vide. Trois grandes bouteilles de bière sont dispersées à travers le lit.

Une bouteille en tombant sur le sol réveille Hé. Il se lève en bâillant. Puis il sort de la chambre après s'être rincé le visage au lavabo.

Un peu plus tard, un gros gecko (lézard) traverse lentement le mur côté terrasse. Il disparaît derrière un rideau. Il reste là sans bouger et se met à chanter : kapkooo, kapkoo, katchèèèè.

Hèk se réveille à son tour. Il regarde le spectacle des bouteilles vides.
Après s’être levé, il se dirige vers le coffre-fort et l’ouvre. La lumière de la chambre éclaire faiblement l’urne.

Dans le calme de la nuit, Hèk parle à son père.

Hèk (en français) : – Père. A la maison, personne n’a compris pourquoi tu m’avais fait partir en France... Surtout maman qui t’en veut encore. Moi, je dois admettre que j’étais très content de partir à l’autre bout du monde. Imagine, je n’étais jamais allé plus loin que la rizière de grand-mère… Quel drôle de choc !

Une bougie s’éteint. Hèk la rallume avec son briquet.

Hèk : – Père… Maman n’en a plus pour longtemps à vivre. Il est temps de vous réconcilier.

Silence de la nuit.


27) LUANG PRABANG - GUEST HOUSE - BAR - INT. NUIT
Hé est en belle compagnie. Il est à la table d’une Française. Hèk reconnaît la jeune femme rencontrée à l'aéroport de Vientiane.

La femme française : – Je comprends maintenant pourquoi j'avais l'impression de connaître ce monsieur. C'est votre frère !
Hèk : – Hé, oui !
La femme française : – En tout cas, il est plus bavard que vous.
Hèk : – Ne me dites pas qu'il vous drague en français...
La femme française : – Non, mais je l’impression de le comprendre et je jurerais qu'il me comprend aussi.
Hèk : – L'alcool permet ce genre de miracle.
La femme française : – Fêtons nos retrouvailles, offrez-moi un verre !

Hèk fait signe à la serveuse de s'approcher.

Hèk : – Qu'est-ce que vous buvez ?

La jeune femme montre son verre de vin blanc à la serveuse.

La femme française : – Same thing.
Hèk (à la serveuse) : – Whisky.
Hé : – Bia lao (bière lao)
La serveuse débarrasse les verres vides puis elle va chercher les commandes.

La femme française : – Votre frère m’a dit en anglais lao que aviez vidé le frigo de votre chambre… C’est vrai ?
Hèk : – Oui, on a fêté la chance d’être encore en vie après quatre cents kilomètres de voyage en tuk tuk !
La femme française : – C’est indiscret de vous demander où vous allez comme ça en tuk tuk ? C’est pour le livre des records ?
Hèk : – Nous ramenons notre père dans son village.
La femme française : – Votre père fait le voyage avec vous ?
Hèk : – Oui.
La femme française : – Vous me le présenterez ?
Hèk : – Non.

Petit moment de gêne.

Hé : – Phousao ni, ngam laï (cette fille-là, elle est très jolie)
La femme française : – Qu'est-ce qu'il dit ?
Hèk : – Il dit que vous êtes très jolie.
(en anglais lao) : – Phousao ni, very nice.
La femme française : – Dites-lui que je le trouve très beau.
Hèk : – Je peux vous laisser si vous voulez...
La femme française : – Allez, on peut rigoler un peu !
Hèk : – Je ne suis pas très drôle.
La femme française : – J'avais deviné !
Hèk : – Dites-moi plutôt ce que vous faites-là.
La femme française : – Si je le savais ! En tout cas, maintenant je sais ce que voyager en bus veut dire !

Hé : – Ho, yak noon... (Ho, j'ai envie de dormir)
La femme française : – Il veut danser ?
Hèk : – Non, il veut aller se coucher.
Hé : – Sleeping !
La femme française : – Pas question. Dansons !

La jeune femme va au bar. Elle dit quelque chose au barman puis revient.
Elle reste debout devant la table. La lumière baisse. Débute la chanson Hôtel California en version lao. Tendant la main à Hé, elle l'invite à venir danser. Hé ne se fait pas prier. Il n'est plus du tout fatigué.
Sur la piste, Hé est un danseur émérite. Il tient la jeune femme dans ses bras comme un cadeau de la vie.
A contempler le tableau, Hèk ressent toute la joie de son frère.
La serveuse amène les boissons et s'assoit à côté de lui. Dans ses habits de lumière, on dirait une chanteuse qui va entrer sur scène.


28) LUANG PRABANG - GUEST HOUSE - CHAMBRE - INT. JOUR
Hèk fait sa valise. Il commence à siffler Hôtel California avant de s'arrêter au milieu de la mélodie. Il entend des pas dans le couloir.
Hé fait son apparition. Il se laisse tomber sur le lit et s'endort.
Hèk vient vers lui, le secoue pour voir son degré d’endormissement. Aucune réaction de Hé.

Hèk (en français) : – Il manquait plus que ça…


29) LUANG PRABANG - GUEST HOUSE - JARDIN - EXT. JOUR
Hèk fume une cigarette au fond du jardin.
La femme française le rejoint.

La femme française : – Votre frère vous a abandonné ?
Hèk : – Il dort. Je ne suis pas sûr qu’il se réveille avant le coucher du soleil.
La femme française : – Dans ce cas, nous avons tout le temps devant nous.
Hèk : – Pour quoi faire ?
La femme française : – Pour faire connaissance.
Hèk : – Au moins, vous devez bien connaître mon frère, maintenant.
La femme française : – Il a la peau douce, il est très attentionné et il s’endort très vite !
Hèk : – Joli portrait !
La femme française : – Vous n’êtes pas jaloux de votre frère, quand même !
Hèk : – Non, je suis seulement intrigué par vous. Vous faites une drôle de touriste.


30) LUANG PRABANG – BORD DU MEKONG - EXT. JOUR
Hèk et la femme française marchent en silence au bord du fleuve, en contrebas d’une pagode.
De la pagode, on entend les éclats de voix et de rire des novices. Sur le fleuve, un pêcheur remonte lentement ses filets. On entend par moments les clapotis que provoquent ses gestes dans l’eau. La lumière de midi donne au fleuve l’aspect d’un miroir.

La femme française : – J’ai acheté mon billet sur internet. J’aurais pu aussi bien atterrir au Pérou ou à l’île de Pâques.
Hèk : – Il n’y a pas de hasard dans la vie.
La femme française : – Je vais finir par le croire, si on se rencontre une troisième fois.

Un temps

La femme française : – Pourquoi est-ce que vous êtes parti en France sans votre famille ?
Hèk : – Mon père avait décidé tout seul. Ma mère n’était pas au courant. Il avait le projet de faire partir tout le monde. Mais cela n’a pas pu se faire. J’ai été élevé par une famille française.
La femme française : – Vous en voulez toujours à votre père ?
Hèk : – Je ne lui en ai jamais voulu. J’étais tellement content de partir en voyage !
La femme française : – Mais pourquoi avoir attendu si longtemps avant de revenir ?
Hèk : – Parce qu’en changeant de pays, en quittant ma famille, j’étais devenu une autre personne. En fait, je pensais que je ne reviendrais jamais.

Silence

Hèk : – La semaine dernière, un cousin qui vit en France, et qui revenait d’un voyage au Laos, est venu me voir. Il m’a appris que ma mère était malade, qu’il ne lui restait que quelques mois à vivre. J’ai aussitôt décidé de revenir dans mon pays.



Silence

Hèk : – Et vous, qu’est-ce que vous êtes venue faire ici ?
La femme française : – Je crois que j’en ai assez d’être la même personne dans ce pays qu’on appelle la France.

Hèk s’est arrêté de marcher, laissant la femme s’éloigner de quelques mètres.

La femme se retourne. Hèk va vers elle, et vient dans ses bras. Ils restent longtemps ainsi sans bouger.


31) CHEMIN DE MONTAGNE - EXT. JOUR
Le tuk tuk monte une côte au ralenti, à 15 km/h. La lenteur du tuk tuk renforce l'impression d'épuisement sur le visage de Hé. On dirait qu'il va s'endormir au guidon du tuk tuk.


32 ) CHEMIN DE MONTAGNE - EXT. JOUR
Hèk a pris la place de Hé au guidon du tuk tuk. Hé dort à l'arrière. Il y a tellement de trous sur le chemin que le tuk tuk doit zigzaguer pour avancer. Le manque d'habitude du conducteur fait que le véhicule avance par soubresauts. Finalement, le tuk tuk s'immobilise au milieu de nulle part. Hèk le pousse sur le côté.

Hé semble parti pour dormir longtemps. Hèk tente en vain de le réveiller.

Hèk regarde autour de lui. Pas une maison, pas une âme qui vive. Il fait des pas dans toutes les directions. Finalement, il quitte le chemin pour rentrer dans la forêt.


33) FORET DE MONTAGNE - EXT. JOUR
Hèk se fraie difficilement un passage dans la jungle. La densité de la végétation et le relief accentué rendent pénible sa progression. Il décide de faire demi-tour.
Dans l'autre sens, ce n'est pas plus facile. Son front perle de transpiration. Bientôt, il doit se rendre à l'évidence : il est perdu. Le bruit de la jungle (craquement des arbres, chant des insectes, cris des mammifères) ajoute à l'angoisse qui monte.
Quand enfin il se retrouve sur le chemin, il ne reconnaît pas son point de départ. Il regarde à droite, à gauche et décide d'aller vers la droite, dans le sens de la montée.


34) CHEMIN DE MONTAGNE - EXT. JOUR
Hèk marche longtemps sur le chemin de montagne. A chaque sortie de virage, il espère qu'il va apercevoir le tuk tuk. Après avoir marché plusieurs centaines de mètres en vain, il fait demi-tour. Dans la descente, c'est plus facile et plus rapide. Il lui faut peu de temps pour arriver à un embranchement situé en aval. Il regarde avec inquiétude vers les hauteurs. Il regarde le nouveau chemin dont il ne reconnaît rien. Il décide de faire une nouvelle fois demi-tour.





35) CHEMIN DE MONTAGNE - EXT. JOUR
Hèk marche lentement avec le peu de force qui lui reste. Le jour commence à baisser, il est résigné, son visage n'exprime plus rien. A force de monter, il atteint un col. Passé ce point, le chemin bascule sur une petite vallée encaissée. Il aperçoit un village.


36) VILLAGE DE MONTAGNE - EXT. JOUR
Hèk n'a pas belle allure. Son costume est déchiqueté, il s'est assis à même le sol pour boire du jus de canne à sucre acheté à un marchand ambulant.


37) MARCHÉ - VILLAGE DE MONTAGNE - EXT. NUIT
Hèk parcourt les allées du marché. Les étals sont peu fournis. Un peu de viande, des poissons, beaucoup d'objets en plastique made in China. Il s'arrête à la table d'un marchand de soupe et grillades. Il commande un véritable festin pour se remettre de ses émotions : soupe, brochette de crabes des rizières, poulet grillé, salade de papaye, riz gluant et une bière.

Le cuisinier : – Vous êtes tout seul ?
Hèk : – Oui.
Le cuisinier : – Vous avez très faim !
Hèk : – Oui.
Le cuisinier : – Vous allez vous régaler. Je suis le meilleur cuisinier du village.
Hèk : – On est où ?
Le cuisinier : – Vous êtes à Ban Souk. (En français : le village de la chance)

Hèk allume une cigarette.
Le cuisinier va préparer les commandes.

Hèk (à lui-même, en français) : – Ban Souk, le village de la chance… Tout va bien, alors.

Hé arrive à ce moment-là. Il a l'air bien reposé et ne semble pas s'être inquiété pour son frère.
Il s'assoit et commande une bière.

Hé : – J’étais sûr que je te trouverais là !
Hèk : – Très drôle…
Hé : – Il n’y a pas d’autre village à moins de trente kilomètres.
Hèk : – J’espère au moins que tu as bien dormi.
Hé : – C’était trop bon. J’en avais vraiment besoin. Cette nuit, pas moyen de dormir… Quelle bavarde, la Française ! Je crois bien qu’elle a parlé toute la nuit. Elles sont toutes comme ça en France ?
Hèk : – Non. En tout cas, tu lui plais bien !
Hé : – C’est toi qui l’intéresse. Et je vois bien que tu es attiré par elle.
Hèk (en français) : – Je n’ai pas fait ce voyage pour repartir avec une Française…
Hé : – Qu’est-ce que tu dis ?
Hèk : – Rien. Je suis fatigué.

Le cuisinier amène les deux bières.
Hé commande son repas.



Hé : – Soupe de nouilles chinoises, légumes sautés, porc caramélisé, calamars frits, riz gluant.
Le cuisinier : – Vous êtes frères ?
Hé : – Oui.
Le cuisinier : – Je ne voudrais pas avoir des fils comme vous, mais comme clients vous êtes parfaits !
Hé : – Oh, j'oubliais papa... Préparez-lui du poisson chat grillé avec un bol de riz. Je vais le chercher.


38) CHEMIN DE MONTAGNE - EXT. JOUR, petit matin
Le tuk tuk vient à bout d’une longue montée. Au passage du col, le paysage s’ouvre sur une vaste vallée. Au loin, se détache la silhouette d’une montagne. Les deux frères s’arrêtent et descendent du tuk tuk. Hé va pisser au bord de la route. Hèk contemple le paysage

Hé revient.

Hé : – Muang Sing est de l’autre côté de cette montagne. Le Vietnam est par ici, et la Chine par là. Nous avons encore une journée de route.


39) RIZIERE DE MONTAGNE - EXT. JOUR

Les deux frères se sont arrêtés près d’une rizière sèche. Ils se sont installés dans une cabane sur pilotis pour se reposer. Le tuk tuk est garé à l’ombre d’un frangipanier, un peu plus loin.

Hé : – Si je roule bien, on arrivera avant la nuit.

Hèk est fatigué, il n’a pas la force de répondre. Il s’allonge pour dormir, imité bientôt par son frère.


40) RIZIERE DE MONTAGNE - EXT. CHIEN ET LOUP
Hé secoue son frère pour le réveiller.

Hé : – Grand-frère, réveille-toi. Papa a disparu.
Hèk : – Qu’est-ce que tu dis ?
Hé : – Il n’est plus dans le tuk tuk.

Hé regarde dans toutes les directions. Puis il appelle son père.
Hé : – Papa, papa !

Pas de réponse, mais des bruits de voix du côté de la forêt.
Hé : – Par ici…

Les deux frères s’engagent dans la forêt. Ils arrivent bientôt dans une clairière au centre de laquelle se dresse une grande maison sur pilotis. Une famille est rassemblée sur la terrasse dans la faible lueur d’un néon.


41) MAISON DE LA CLAIRIERE – TERRASSE - EXT. NUIT
En pénétrant sur la terrasse de la maison, les deux frères aperçoivent l’urne posée sur l’autel des ancêtres. Ils saluent respectueusement les habitants en s’agenouillant et en joignant leurs mains devant leur visage. Il y a là un vieil homme, entouré de son fils, de sa bru  et de ses trois petits-enfants.

Le vieil homme : – Vous êtes des mauvais fils. Comment osez-vous abandonner une urne funéraire dans un misérable tuk tuk ?
Hé : – Nous avons fait beaucoup de route, déjà. Nous avons pensé que Père serait mieux dans le tuk tuk à l’ombre du frangipanier.
Le vieil homme : – Sottises ! Prosternez-vous trois fois devant lui.

Toute la famille éclate de rire.
Les deux frères s’exécutent. Ils marchent sur les genoux jusqu’à l’autel et se prosternent trois fois.

Le vieil homme : – Promettez-moi de ne plus recommencer.
Hé : – Nous vous le promettons.
Le vieil homme : – Bientôt, j’habiterai une urne comme votre père. Je détesterais que mes enfants m’oublient dans un tuk tuk.

De nouveau, tout le monde rigole.
La bru apporte du thé qu’elle sert à tout le monde.


42) MUANG SING – RUE PRINCIPALE – EXT. NUIT
Le calme règne dans le village. Les deux frères vont de maison en maison frapper aux portes.
Ils racontent leur voyage en montrant l’urne et la photo de leur père. Personne ne le reconnaît.
Le village n’est pas grand. En une heure, ils ont fait le tour des maisons. Résignés, ils vont se réfugier dans une boutique de soupes.


43) MUANG SING – BOUTIQUE DE SOUPES – EXT. NUIT
N’ayant pas d’appétit, ils commandent une soupe seulement pour leur père, préférant, pour leur part, trouver du réconfort en buvant du lao lao.

Le maître des lieux vient leur tenir compagnie. Il se sert un verre de lao lao.

L’homme : – Ca n’a pas l’air d’aller fort…
Hé : – C’est vrai, on a connu mieux.
L’homme : – Ne vous laissez pas abattre, trinquons !

Les trois hommes trinquent et boivent cul sec.

L’homme : – Vous n’êtes pas d’ici.
Hé : – Nous venons de Vientiane.
L’homme : – Avec ce tuk tuk ?
Hé : – Oui, je suis chauffeur de tuk tuk.
L’homme : – Vous savez qu’il y a des avions qui desservent Luang Prabang et des bus qui viennent jusqu’ici ?
Hé : – Papa faisait le trajet à pied.
L’homme (regardant l’urne) : – C’est lui ?
Hé : – Oui.

L’homme va dans une pièce attenante.
Il revient avec des bougies et de l’encens.
Il allume bougies et encens qu’il dispose autour de l’urne.

L’homme : – C’est la première fois qu’il revient chez lui ?
Hé : – Oui.
L’homme : – Vous avez une photo de lui ?

Hé sort de sa veste la photo de son père. Il la pose sur la table devant l’homme.
L’homme regarde la photo. Sans rien dire, il retourne dans la pièce attenante. Il revient avec une photo qu’il pose sur la table. C’est la même.

L’homme : – C’est mon oncle Khak.
Hé : – Son nom est Khakhoun.
L’homme : – C’est le frère de mon père.

Hèk a tout suivi de la conversation. Il se rapproche de la table en penchant son corps en avant.

Hèk (en laotien) : – Tu es notre cousin ?
L’homme : – On dirait que oui.

Silence. On entend un camion traverser le village.

L’homme (en se tournant vers la pièce attenante) : – Ma femme, viens ici. On a de la visite !

Sa femme apparaît.

L’homme : – Je te présente les fils de Tonton Khak.

La femme s’approche timidement.

L’homme : – Ce soir, nous allons faire la fête. Je vais tuer une chèvre !
Hèk : – Attendons demain, j’aimerais que toute sa famille soit réunie.
L’homme : – Tout le monde est parti aux Etats-Unis. Je suis le seul qui soit resté.
Hèk : – Pour quelle raison ?
L’homme : – J’ai raté le tuk tuk qui devait nous amener au bateau !
Hèk : – Ils ne t’ont pas attendu ?
L’homme : – Ils n’avaient pas le choix.
Hèk : – C’est vraiment pas de chance !
L’homme : – Je ne me plains pas. J’ai une femme douce et travailleuse, et mon commerce est honnête.
Hèk : – Tu n’es pas habillé comme un Thai Dam.
L’homme : – A quoi bon… Je me suis retrouvé tout seul, à quinze ans j’ai dû recommencer ma vie. (Se tournant vers une chambre) Kèo, viens saluer tes tontons.

Apparaît un jeune homme de vingt ans. Il s’agenouille pour saluer Hé et Hèk.

L’homme : – Maintenant, prends un bon couteau et va tuer une chèvre.

Le jeune homme descend l’escalier qui mène au jardin.

L’homme : – Nous boirons le sang ce soir. Nous mangerons la viande demain. Elle cuira toute la nuit.


44) MUANG SING – BOUTIQUE DE SOUPES – EXT. NUIT
Le jeune homme apporte une bassine en aluminium remplie du sang de la chèvre. Il la pose au centre de la table. La femme amène des petits bols contenant des herbes finement ciselés, de l’ail, des piments. Le cousin verse dans des verres un mélange de lao lao et de sang de chèvre. Il ajoute dans chaque verre les herbes, l’ail et le piment.
Il dépose un verre devant l’urne.
Quand vient le moment de trinquer, il est visible que Hèk préfèrerait être ailleurs. Il vide son verre lentement en fermant les yeux.


45) MUANG SING – BOUTIQUE DE SOUPES – EXT. NUIT
Hèk s’est éloigné de la maison pour fumer une cigarette.
Il est rejoint par le fils de son cousin.

Le jeune homme : – How long will you stay with us ?
Hèk : – A few days… Mother is waiting for us.
Le jeune homme : – I did’nt know that we had parents in Vientiane.
Hèk : – It’s nice to meet you. You should come with us to Vientiane, so you can see how big is your family.
Le jeune homme : – I would love it, but I have to prepare my exams. Maybe next summer.
Hèk : – Where have you learned to speak english ?
Le jeune homme : – In Luang Prabang, in a private school.
Hèk : – Your accent is good.
Le jeune homme : – Thank you, my uncle.
Hèk : – What will you do after finished your studies.
Le jeune homme : – Any kind of business in Luang Prabang.
Hèk : – Do you want a cigarette ?
Le jeune homme : – Yes, please.

Oncle et neveu fument en silence. De la maison, parviennent les éclats de rire de Hé et de son cousin retrouvé.


46) MAISON DU COUSIN – TERRASSE – INT. NUIT
Le neveu chante pour l’assemblée une chanson de Loso, star de la chanson pop thaïlandaise, en s’accompagnant à la guitare.

L’urne du père est posée sur l’autel des ancêtres située au-dessus d’eux. De nombreuses bougies sont allumées, projetant dans l’espace une lumière tremblée.


47) ROUTE DU RETOUR – EXT. JOUR
Hèk conduit le tuk tuk à vive allure, sourire aux lèvres.
Hé se laisse emmener, profitant du paysage. L’urne est attachée sur le siège à côté de lui.

Le tuk tuk passe devant la boutique où, à l’aller, une jolie jeune femme les avait dépannés d’une bouteille d’essence.

Hé : – Grand frère, tu veux qu’on s’arrête chez la belle ?
Hèk : – Une autre fois, merci. Je reviendrai sans toi !

Hèk accélère.
Un peu plus loin, sur la route, la belle apparaît, marchant en sens inverse.
Hèk ralentit pour étirer l’instant au maximum.


48) PAGODE – VILLAGE FAMILIAL - EXT. JOUR
L’urne a retrouvé sa place dans la pagode. La mère de Hèk est seule, parlant à son défunt mari. Hé et Hèk se tiennent à l’écart, tenant compagnie aux novices.

La mère : – J’espère que le voyage s’est bien passé. Les garçons ne racontent pas beaucoup. J’ai fait des offrandes pour toi tous les jours, et pour tes ancêtres aussi. Je suis contente que tu aies pu revoir ton village. Je suis contente aussi que tu sois revenu. Je vais pouvoir me reposer maintenant. Hèk doit repartir en France dans quelques jours. Il faudra que tu m’aides, ça va être difficile, comme il y a trente-cinq ans. Pour la peine, je t’ai acheté du vin français. Savoure-le…

Elle ouvre une bouteille de vin rouge. Elle en verse dans un verre et pose la bouteille ouverte à côté de l’urne. Puis elle s’en retourne chez elle. Hé et Hèk la regardent s’éloigner, frêle silhouette sur le chemin de terre.


49) PAGODE – VILLAGE FAMILIAL - EXT. JOUR
Hé et Hèk s’entretiennent avec le Vénérable dans le jardin de la pagode.

Le Vénérable : – Est-ce que vous avez informé votre mère de sa maladie ?
Hé : – Non, pas encore.
Le Vénérable : – Il ne faut plus tarder. Elle doit savoir.
Hèk : – Ce n’est pas facile.
Le Vénérable : – Ce qui importe maintenant, c’est que vous soyez réunis et que vous soyez à  ses côtés. S’adressant à Hèk : Et toi, Hèk, tu peux t’estimer heureux d’avoir pu revoir ta mère vivante.


50) MAISON FAMILIALE – CUISINE - EXT. NUIT
Papao, la nièce de Hèk, lave le riz du soir. Hèk s’approche. Il s’assoit sur un tabouret et l’observe.

Les deux personnages n’échangent pas de paroles. La jeune Papao est concentrée sur ce qu’elle fait. Rien d’autre ne semble pouvoir la perturber.
Quand elle a fini de laver le riz, elle entreprend d’allumer un feu de bois.
Hèk l’aide à transporter et couper des branches.
Quand le feu a pris, Papao met le riz à cuire.

Papao : – Merci, Oncle.

Elle lui donne un couteau.
Hèk : – C’est pour faire quoi ?
Papao : – Il faut tuer une poule pour la soupe.

Hèk prend le couteau qu’il repose aussitôt sur le sol.
Hèk (en français, à lui-même) : – Avant de la tuer, il faudrait d’abord que je l’attrape !

Hèk sort de la maison ; il allume l’éclairage extérieur. Les poules se dispersent en poussant des cris. Papao encourage son oncle tout en riant de sa maladresse. Bientôt, Hèk se retrouve dans le jardin des voisins à la poursuite d’une poule.


51) MAISON FAMILIALE – TERRASSE - INT. NUIT
Hèk est occupé à plumer une poule. Papao lui tient compagnie.
Papao : – Cette poule n’est pas très belle… Ce n’est pas grave, la soupe sera bonne quand même.
Hèk : – J’ai pris celle qui courait le moins vite.
Papao : – On ne mange pas de poule en France ?
Hèk : – Si, mais on n’a pas besoin de leur courir après.
Papao : – J’aimerais vivre en France. Tu m’emmèneras un jour ?

Hèk : – Oui, mais seulement pour visiter.

Une voix appelle Papao
Papao : – C’est grand-mère, il faut que j’aille l’aider.

Papao partie, Hèk se retrouve seul. Il écoute les sons de la maison et les sons du village qui lui parviennent du dehors.
Hé vient le rejoindre. Il s’installe pour couper la poule. Hèk allume une cigarette.

Hèk : – Petit frère. Merci de m’avoir aidé. Grâce à toi, je me sens vraiment chez moi ici.
Hé : – Je n’ai rien fait. Et tu seras toujours chez toi ici.
Hèk : – Heureusement que tu es là pour ma maman.
Hé : – Ne t’inquiète pas pour elle. Son cœur est en paix maintenant.


52) VIENTIANE – RUES DE LA VILLE - EXT. JOUR
Hé a mis son costume des grands jours pour accompagner son frère à l’aéroport.
Dans son tuk tuk, il a embarqué sa mère, Papao et Hèk. Ce dernier regarde la ville.
Sur l’esplanade qui borde le Mékong, dans le centre-ville, il croit apercevoir la jeune femme française.

Hèk (criant à l’adresse de son frère) : – Regarde sur ta gauche, c’est ta copine française !
Hé : – Ce n’est pas elle. C’est juste parce que tu penses à elle !

53) NORD DU LAOS – VERS LA FRONTIERE CHINOISE - EXT. JOUR
La femme française est dans un tuk tuk roulant sur un chemin de terre qui longe une rivière. Son visage est apaisé, presque souriant. En face d’elle est assise une femme de l’ethnie Thaïdam, toute de noir vêtue.

Le tuk tuk s’arrête à proximité d’un pont en métal.
La femme française descend. Elle va donner de l’argent au chauffeur.
Ce dernier lui montre la direction du pont avec la main.

Le chauffeur de tuk tuk : – China is other side. China ! Good luck !

La femme française remercie à la manière laotienne, en joignant les mains devant son visage.
Puis elle s’engage sur le pont.
Elle s’éloigne, devient de plus en plus petite, une silhouette parmi d’autres.



54) VIENTIANE – AEROPORT - EXT. JOUR

Sur le parking, les autres chauffeurs de tuk tuk se moquent du costume de Hé.

Devant l’entrée de l’aéroport, Hèk prend longuement sa mère dans ses bras.
La mère : – N’attends pas trente-cinq ans avant de revenir.
Hèk : – Je reviendrai dans deux semaines. Et je resterai avec toi.
La mère : – Ne fais pas de promesses en l’air.
Hèk : – Ce ne sont pas des promesses en l’air. J’habiterai avec toi au village.
Les dialogues sont en laotien sous-titrés en français, à l’exception des scènes avec la femme française. Quand Hèk ou un lao francophone parle en français, cela est indiqué.










1 - AEROPORT DE VIENTIANE – EXT. JOUR / MATIN
Petit matin. Hèk fume une cigarette en faisant des lents va-et-vient autour de sa valise. Une femme française fume en sa compagnie.

La femme française : – Vous êtes sûr, vous ne voulez pas partager un taxi avec moi ?
Hèk : – Mon frère vient me chercher. Il est chauffeur de tuk tuk.
La femme française : – Alors partageons le tuk tuk.
Hèk : – Je suis désolé… Je crois que… Enfin… Ce n’est pas possible… Ma famille m’attend… le programme est chargé…


2 - RIZIERE – EXT. JOUR / MATIN
Dans le calme d’une rizière au petit matin, Hé (le frère de Hèk) regarde de tous les côtés. Il cherche quelque chose, en avalant des grandes bouffées d’air pour récupérer son souffle. Soudain, il entend des bruits dans l’eau, et voit bouger des plants de riz au loin. Il repart en chasse.
On ne sait pas après quoi il court, jusqu’au moment où on voit un cochon gambader dans les rizières.


3 - MAISON DE LA RIZIERE – EXT. JOUR / MATIN
Le cochon est installé dans le tuk tuk de Hé, une corde en guise de laisse.
Hé est trempé.

Dialogue en laotien sous-titré
Le paysan : – Un million de kips.
Hé : – On avait dit sept cent mille… Ce cochon ne vaut pas plus.
Le paysan : – Oui, mais il a fait des ravages dans les rizières.
Hé : – Ce n’est pas de ma faute s’il s’est sauvé.
Le paysan : – Ce n’est pas la mienne non plus. Neuf cent mille ?
Hé : – Huit cent mille…
Le paysan : – Huit cent cinquante et on n’en parle plus…


4 - AEROPORT DE VIENTIANE – EXT. JOUR / MATIN

La femme française : – Vous pouvez me dire quels sont les lieux à visiter ?
Hèk : – Non, désolé. Je suis parti il y a trente-cinq ans. C’est la première fois que je reviens.

Pause

La femme française : – Je peux vous poser une question ?
Hèk : – Oui.
La femme française : – Pourquoi vous avez attendu si longtemps avant de revenir ?
Hèk : – Il est trop tôt pour que je puisse vous répondre. Mais je me pose la question aussi.

Ils fument en silence. Le calme règne aux abords du petit aéroport.

La femme française : – Merci pour la cigarette.
Hèk : – Si on se revoit, c’est vous qui me direz ce qu’il y a à visiter !
La femme française : – Oui, si on se revoit.

La jeune femme se dirige vers un taxi. Avant d’embarquer, elle fait un signe de la main à Hèk.

Le taxi démarre. Hèk le regarde s’éloigner.


5 – AEROPORT VIENTIANE – EXT. JOUR / MATIN
Hé arrive à l’aéroport, il passe au ralenti devant l’entrée principale, là où son frère l’attendait. Ensuite, il rejoint le groupe des chauffeurs de tuk tuk.
Dialogue en laotien sous-titré

Hé (parlant aux chauffeurs) : ­– Vous n’avez pas vu un Lao falang ?
Un chauffeur (en parlant du cochon) : – Il y en a un dans ton tuk tuk. La blague provoque un rire sonore des autres chauffeurs.
Hé : – Rigolez pas les gars, je cherche mon frère. J’ai au moins une heure de retard, et je ne sais même pas à quoi il ressemble !
Deuxième chauffeur : – A toi, en moins paysan ! Rire général.
Troisième chauffeur : – Il est parti à pied. Tu le trouveras par là (Il indique de la main la direction de la ville). Il ne doit pas être loin.


6 – QUARTIER DE L’AEROPORT – BAR A SOUPE – EXT. JOUR / MATIN
Hèk s’est endormi en terrasse d’un bar à soupe, la tête posée sur ses bras croisés.
Son frère Hé passe au ralenti en tuk tuk. Quand il aperçoit Hèk, le seul lao falang en costume parmi les clients laotiens, il gare son tuk tuk sur le bord de la route. Puis il s’installe sur une chaise en face de son frère étranger. 
Dans le dialogue qui suit, Hé parle en laotien ; Hèk parle en français et dans un lao rudimentaire.

: – C’est toi, mon grand frère Hèk ? Grand frère Hèk, réveille-toi. (Il lui touche l’épaule) Ton petit frère Hé est là.
Hèk (en se frottant les yeux) : – Salut petit frère (en français). Sabaïdi, nong (« Bonjour petit frère » en laotien).
Hé : – Tout le monde t’attend à la maison !

Hèk dévisage Hé.

Hèk : – On dirait que tu as grandi !
Hé : – Oui, mais tu es toujours le plus grand !

Les deux frères se lèvent. Ils tombent dans les bras l’un de l’autre.

Hèk : – Comment va maman ? 
Hé : – Elle est comme d’habitude. Elle ne sait pas qu’elle est malade.
Hèk : – Que disent les médecins ?
Hé : – Le diagnostic n’a pas changé. Elle n’en a plus pour longtemps.

Pause.
Il monte de la ville comme une longue respiration.

Hé : – Allons-y. Nous sommes en retard.
Hé charge la valise de Hèk dans le tuk tuk. Il l’invite ensuite à venir s’asseoir en face du cochon.


7 – RUES DE VIENTIANE – EXT. JOUR / MATIN
La radio du tuk tuk crache de la musique thaïe. Le cochon balance sa tête au rythme de la musique. A l’avant du tuk tuk, son frère lui parle sans discontinuer. Ses paroles se mélangent aux mélodies de la musique thaïe et aux couinements du cochon. Hèk regarde la ville avec émerveillement.


8 – MAISON FAMILIALE – EXT. JOUR / MATIN
L’arrivée du tuk tuk à la maison familiale est triomphale.
Toute la famille est là : la mère, les frères et sœurs, une multitude d’enfants que Hèk ne connaît pas. Un grand éclat de rire accueille le « Français ». On moque son teint clair, ses beaux habits et sa timidité. Quant au cochon, il est emmené par un groupe d’hommes joyeux qui lancent des blagues sur sa silhouette grassouillette.


9 – JARDIN - MAISON FAMILIALE – EXT. JOUR / MIDI
Le cochon grille sur une grande broche installée au fond du jardin. Une danse s’improvise autour du festin qui se prépare, menée par un musicien qui joue du khène (l’orgue à bouche laotien). Hèk suit le mouvement général sans être vraiment dans le rythme. Papao, une jeune nièce, ne le quitte pas, elle a une tâche très précise : chaque fois qu’il boit une gorgée de sa bière, elle lui en reverse, de sorte que son verre est toujours plein et qu’il n’a pas l’impression de boire beaucoup. Mais, très vite, l’alcool produit ses effets. Cela a le don de mettre Hèk à l’aise. Quand la bouteille est vide, le « Français » se fond dans la danse sans peur du ridicule.
La mère de Hèk est toute à la joie de regarder son fils retrouvé. Elle est entourée d’autres vieilles femmes qui applaudissent aux maladresses du Lao falang.


10 – MAISON FAMILIALE – SALON  – INT. JOUR 
Hèk est endormi sur une natte, la tête posée sur les jambes de sa mère. Celle-ci est assise contre la rampe de la terrasse en surplomb du jardin. La fête continue dehors comme dedans mais, l’alcool aidant, l’ambiance a baissé en intensité. De nombreux invités sont endormis, comme Hèk, à même le sol. Sa mère lui parle dans son sommeil en laotien.



La mère : – Oh, mon petit garçon, comme je suis contente que tu sois revenu. Je ne croyais plus que tu reviendrais un jour. Tu devais nous en vouloir beaucoup pour avoir tant attendu avant de revenir. Mais comment te blâmer ? Ton père est le seul responsable. J’ai pleuré trois jours et trois nuits quand j’ai appris que tu étais parti.

Une vieille femme vient se joindre à la mère de Hèk.

La vieille femme : – Il dort bien ton petit Hèk.

La mère de Hèk chante une berceuse.


11 – MAISON FAMILIALE – SALON – INT. NUIT
Hèk est allongé, immobile, les yeux ouverts. Le silence règne. Sa mère et son frère Hé sont endormis à côté de lui. Sa petite nièce Papao dort également un peu plus loin, à même le sol.
Les sons du dehors (petit vent, insectes, grenouilles) ressuscitent des souvenirs d'enfance : il se revoit petit garçon dormant sur cette même terrasse dans la compagnie tranquille de son père et sa mère. (Flash back : le temps de cette réminiscence, on voit Hèk enfant dans la même position, les yeux ouverts tandis que son père, sa mère, ses frères et sœurs dorment à ses côtés sur la terrasse).


12 – MAISON FAMILIALE – EXT. JOUR
Le jour s’est levé. Hèk ouvre les yeux. Il est seul sur la terrasse. On a pris soin de couvrir son corps avec une couverture. Il entend les bruits du voisinage.

Son frère Hé apparaît habillé et peigné avec soin.

: –  Tu te souviens où tu es ?
Hèk : – Je me souviens que j’ai beaucoup bu !
: –  Mère est partie à la pagode.

Hèk s’assoit et s’adosse contre le mur.

Hèk : – Mère va tous les jours à la pagode ?
: –  Oui, pour parler aux esprits des ancêtres.

Hèk se lève. Il regarde une vieille photo accrochée au mur. On voit toute la famille réunie dans le jardin.

Hèk : – Tu n’étais pas encore né...
Hé : –  Tu te trompes… Là c’est moi, sur les genoux de maman. Toi, tu étais déjà parti.

Hèk s’éloigne vers le vide de la terrasse. Il regarde en direction de la route. De la pagode voisine, on entend les percussions sourdes des gongs.
Une femme laotienne fait son apparition, elle entre dans le jardin par un passage et le traverse en longeant le bord du fond. Hèk la suit du regard. Il est interrompu dans sa rêverie par Hé.

Hé: –  C’est la voisine. Elle n’a pas de mari. Elle m’a posé beaucoup de questions sur toi !
Hèk (en français) : – Je préfère ne pas savoir ce que tu lui as dit sur mon compte.
: –  Grand frère, je ne comprends rien quand tu parles en français.
Hèk (en laotien) : – Ce n’est pas grave. Un jour on parlera la même langue.
: –  Tu parles encore bien lao. Mais ton accent est bizarre. Des fois, on croirait entendre un Soviet ! (Soviet est le mot  utilisé au Laos pour désigner les Russes).

La blague fait sourire Hèk.

Hé : Je dois aller travailler.
Hèk : – Je viens avec toi.


13 – ROUTE DU VILLAGE - RUES DE VIENTIANE – EXT. JOUR
Hèk s'est installé dans le tuk tuk, tout près de son frère Hé. La traversée du village soulève la route de terre rouge en poussière. Puis la traversée des rizières ouvre l'espace jusqu'à l'horizon. A mesure qu'ils s'approchent de la ville, le trafic augmente et les petites échoppes de bord de route sont de plus en plus nombreuses. Enfin, au carrefour qui marque l'entrée de la ville, c'est l'embouteillage. Hé arrête le moteur du tuk tuk.

Une vieille dame monte.

La vieille dame : –  Marché du matin...
: –  Ça va.

Un homme monte dans le tuk tuk, costume noir impeccable.
L'homme en costume : –  Je vais à la banque pour le développement du commerce extérieur.
Hé : –  Ça va. 
La vieille dame : –  A cette vitesse-là, on peut aller partout. Il suffit d’avoir de l’imagination !
L'homme en costume : –  Ne soyez pas impatiente, grand-mère. Le trafic va reprendre.
La vieille dame : –  Ne t’inquiète pas, petit. Quand on est pauvre, on n’est jamais pressé. Nest-ce pas, jeune homme ! (en s’adressant à Hèk)
Hèk (en mauvais laotien) : –  Moi, pas comprendre…
La vieille dame : –  Tu as bien de la chance de ne pas comprendre…





14) VIENTIANE – BORD DU MEKONG – EXT. JOUR
Il est deux heures de l’après-midi, au plus fort de la chaleur, Hèk fait la sieste dans le tuk tuk, à l’ombre d’un frangipanier, au bord du Mékong. Hé mange une soupe vietnamienne à quelques mètres de là, à la terrasse d’un bar à soupe, repère des chauffeurs de tuk tuk. Un collègue vient le rejoindre.

Le collègue : –  Il se laisse aller ton client.
Hé : –  C’est mon frère. Il vient de France.
Le collègue : – Il dort tout le temps ?
Hé : – Décalage horaire…
Le collègue : – C’est ton grand ou ton petit frère ?
Hé : – Grand frère… Le troisième de la famille, juste avant moi.
Le collègue : – C’est la première fois que je le vois.
Hé : – Première fois qu’il revient au pays.
Le collègue : – Ça se voit !
Les deux amis partent d’un grand fou rire. C’est à ce moment que Hèk se réveille. Il observe la scène depuis le tuk tuk en se demandant où il est. Puis il rejoint tant bien que mal les deux compères.

Le collègue (en français) : – Bonjour, bienvenue au Laos !
Hèk (surpris) : –  Vous parlez bien français !
Le collègue (en français) : – J’ai appris au lycée ; de mon temps, tous les cours étaient en français. Ce n’est plus le cas maintenant, et les jeunes ne veulent apprendre que l’anglais. C’est comme ça !
(en laotien) : –  Tu veux une soupe ?
Hèk (en laotien)  : – Oui, sans piment.

D’un signe de la main vers la cuisine, le collègue passe commande d’une soupe.

Hé (en laotien, criant à la serveuse) : –  Sans piment !
Hèk (en laotien) : – Merci.
Le collègue (en français) : – On ne mange pas de piment en France ?
Hèk : – Non, pas comme ici.
Le collègue (en français) : – On dit pourtant qu’on mange bien en France…
Hèk : – On peut bien manger sans se brûler la bouche.
(en laotien) : –  Qu’est-ce qu’il dit ?
Le collègue (en laotien) : –  Il dit qu’on ne mange pas bien en France !

Les deux chauffeurs de tuk tuk rient de la blague, Hèk essaie de la comprendre.
La serveuse amène la soupe.

Hèk (en laotien) : – Merci.
La serveuse (en laotien) : – Sans piment. Mais c’est moins bon !
Hèk (en laotien) : – Ça va comme ça…

Hèk mange la soupe. Il manque cracher la première gorgée tellement elle est pimentée.
Tout le monde rit sauf lui.

Hèk (en laotien) : – C’est ça, sans piment ?


Le collègue goûte la soupe.

Le collègue (en français) : – Il n’y a pas de piment là-dedans !
Hèk (en français, en se penchant vers le bol) : – C’est quoi ces tâches rouges qui flottent ?
La serveuse (en laotien) : –  Un peu de piment qui restait dans la casserole.
Le collègue (en français) : –  Elle dit qu’il restait un peu de piment au fond de la casserole.
Hèk (en français) : – Demande-lui pourquoi elle n’a pas lavé la casserole.
Le collègue (en laotien, à la serveuse) : –  Il veut savoir pourquoi tu n’as pas lavé la casserole.
La serveuse (en laotien) : –  C’est meilleur si on ne lave pas.
Les trois Laotiens rigolent, le « Français » se contente de sourire en renonçant à comprendre.
La serveuse s’éloigne.


15) BOUTIQUE, FORET, PAGODE – EXT. JOUR
Le tuk tuk roule sur un chemin de terre entre rizières et forêt. Au détour d’un virage, il s’arrête devant une boutique. Hé achète une petite bouteille de lao lao, le « whisky » local, du poisson grillé, du riz, des piments, des bougies et de l’encens. Le tout est mis dans un sac en plastique.
Ils repartent à pied.

Au bout du chemin, apparaît une pagode. A aucun moment, Hé n’explique ce qu’ils viennent faire là. Hèk le suit sans essayer de comprendre. Il marche derrière son frère qui tient le sac en plastique. Dans la cour de la pagode, le calme règne. Enfin, ils s’arrêtent à l’endroit où le mur d’enceinte est fissuré par un arbre. Alors Hé se tourne vers Hèk :

: –  Papa habite là.

Tout ce que Hèk peut voir, c’est une urne en métal rouillée, un verre vide, des assiettes contenant des restes de bougies et de la nourriture séchée visitée par les fourmis.
Hé jette les restes dans les hautes herbes et va laver le verre et les assiettes au puits. Ce faisant, il discute avec des novices occupés à faire leur toilette du soir.
Puis il revient avec les assiettes nettoyées. Il y dispose le contenu de son sac en plastique, le riz dans une assiette, le poisson et les piments dans une autre, l’alcool dans le verre. La bouteille n’étant pas vide, il la glisse dans sa poche de pantalon.
Il allume des bougies qu’il dispose sur le bord des assiettes en faisant couler la cire.
Il allume des bâtons d’encens qu’il plante dans la terre à côté de l’urne.
Ayant accompli tous les rites, il engage la conversation avec son père mort.

: –  Père, comment tu vas ? A la maison ça va bien, maman est contente parce que Hèk est revenu. On a du mal à croire qu’elle soit malade. Les médecins sont pourtant certains qu’elle a moins d’un an à vivre. On a tué un cochon pour fêter le retour de Hèk, toute la famille est venue et tout le village. On a mangé et dansé toute la journée, jusque tard dans la soirée. Tu as le bonjour de ton copain Souk. Il m’a dit qu’il lève toujours son verre à ta santé chaque fois qu’il boit. Il a tellement bu que tu dois être soûl toi aussi !

En se tournant vers son frère :
: –  Tu veux parler à papa ?

Hèk hésite. Finalement, il s’approche de l’urne.

Hèk (en français) : –  Bonjour père. Ça fait longtemps que j’aurais dû venir te voir. J’espère que tu ne m’en veux pas. Maintenant, maman est malade. Je vais la perdre aussi. Je m’en veux d’avoir tant tardé à revenir. Et maintenant que je suis revenu, j’ai l’impression de n’être jamais parti. C’est dommage que tu ne sois plus là, personne dans la famille ne parle aussi bien français que toi.

Hèk a parlé d’une voix murmurée, comme se parlant à lui-même. Hé est resté à ses côtés.


16) MAISON FAMILIALE – TERRASSE – EXT. NUIT
Les deux frères jouent aux dames à la lumière d’une bougie, en buvant de la bière. Le damier est dessiné à la main sur un carton ; des capsules de bouteilles de bière font office de pions. La mère est assise près d’eux. Elle parle à voix haute à son mari mort, de sorte que ses deux fils peuvent aussi l’entendre.

La mère : – Oh, mon mari ! Où est-il passé le petit Hèk qui me tenait la main pour aller à l’école ? Maintenant, c’est un homme qui dépasse tous ses frères d’une demi-tête. Il est bien habillé, il a des délicatesses de jeune fille mais il ne sait pas faire les trois prosternations. Il a tout à apprendre… Voilà le résultat de tes rêves de voyage… Tout ce que tu as réussi, c’est à faire de notre Hèk un lao falang. Je t’en ai voulu longtemps, mais tu es mort maintenant, je ne vais pas t’embêter avec cette vieille histoire. L’important, c’est que notre fils soit revenu.

Silence.
Hé ouvre une bouteille de bière.
Hèk allume une cigarette.

La mère : – Si tu n’en avais pas fait qu’à ta tête, tu ne serais pas allé te faire opérer en Thaïlande. Et tu serais peut-être encore là pour revoir ton fils. J’aurais tellement aimé aller avec toi dans ton village pour que tu puisses mourir en paix. Je vais demander à Hèk de te ramener chez toi.

Les deux frères ont écouté le monologue de la mère sans l’interrompre. Quand la mère se tait, on entend de nouveau le chant des insectes, et le clic clic des pions sur le damier. La flamme de la bougie projette sur les murs et le sol des ombres tremblantes.

La mère (interpellant Hèk) : – Hèk, tu veux bien ramener ton père dans son village ?

Les deux frères se regardent.

Hé : –  Mère, j’irai avec grand frère ramener papa dans son village natal.


17) MAISON FAMILIALE – TERRASSE, JARDIN, ROUTE – INT. et EXT. JOUR
Le doyen du village accomplit les rites d’une cérémonie de bénédiction du voyage.
Hèk imite les gestes de son frère Hé car il ignore tout du rituel.
Les psalmodies initiées par le doyen sont reprises en chœur par toute l’assemblée.



Après la cérémonie, l’urne est embarquée sur le tuk tuk, attachée solidement à un siège pour ne pas se renverser.

Hèk s’installe en face de son père.

La mère, aidée par la jeune Papao, charge des paniers de nourriture.

Vient enfin le moment du départ.
Hèk prend longuement sa mère dans ses bras.

La mère : –  Merci de faire ce voyage. Votre père doit être fier de vous. Moi, je suis trop vieille pour un si long voyage.
: –  Tu dois te reposer, mère. Papao s’occupera de toi.
(Interpellant Papao) Papao ! Prends bien soin de Grand-mère.
Papao : –  Oui, Oncle Hé. Je vais la bichonner comme un bébé !

Hèk s’installe dans le tuk tuk. Hé peut démarrer et le voyage commencer. La route de terre rouge se soulève en poussière sous les roues du tuk tuk. Derrière le nuage de  poussière, Hèk voit sa famille réunie au bord de la route pour leur dire au revoir.


18) FORET – EXT. JOUR
Le tuk tuk roule au ralenti en suivant les courbes du chemin. La forêt est dense, très peu de lumière parvient jusqu’au sol. Quand Hé arrête le moteur du tuk tuk, on mesure au silence qui s’installe l’étendue de la forêt.
Hé dépose l’urne dans un autel dressé au pied d’un arbre géant. Il allume deux bougies et un bâton d’encens. Enfin, il se prosterne trois fois devant l’autel. Hèk fait de même.

Ensuite, les deux frères installent leur pique-nique sur une grande natte. C’est un véritable festin que leur mère a préparé. Comme le veut la coutume, Hé sert d’abord son père.
Hèk s’apprête à manger quand, soudain, son frère lui fait comprendre qu’ils doivent s’en aller.
Hé : –  Grand frère Hèk, on ne peut pas rester là.
Hèk (en laotien) : – Pourquoi, qu’est-ce qui se passe ?
Hé : – Cet arbre est hanté. Partons avant que les esprits ne se réveillent.

Hèk se lève sans rien dire. Il marche autour de l’arbre pour essayer de comprendre ce que veut dire Hé. Ce dernier s’active pour tout ranger dans le tuktuk.

L’arbre est si haut que Hèk doit pencher sa tête très en arrière pour apercevoir le sommet. Il se recule pour tenter d’avoir une vue d’ensemble de l’arbre.

La lumière du jour filtrée par les feuillages est une pure splendeur : rien qui évoque pour Hèk l’idée d’esprits maléfiques.

Hé a fini de ranger les affaires dans le tuk tuk. Il va maintenant chercher l’urne.

Hèk (laotien approximatif) : – Petit frère, pourquoi tu dis que cet arbre est hanté ?
Hé : – L’encens et les bougies se sont éteints trop vite.

Sans plus d’explication, Hé va chercher l’urne.

Le tuk tuk repart. Hèk laisse longtemps son regard s’attarder sur la vision de l’arbre qui s’éloigne avant d’être englouti par la forêt.


19) CABANE – RIZIERE – EXT. JOUR
La cabane, plantée au bord d’une rizière, sert de lieu de repos pour les paysans. C’est une sorte de terrasse couverte, point de vue panoramique sur l’espace alentour. Hé discute avec une femme. Cette dernière allaite un bébé emmailloté. Hèk marche à quelques mètres de la cabane en fumant une cigarette.

Dialogue en laotien entre Hé et la femme :

La femme : – Moi, je ne m’approche jamais à moins de cinq cents mètres de cet arbre.

Hé éclate de rire.
Hé : – Nous, on s’est installé juste en dessous. J’en tremble encore !

Tous deux éclatent de rire.
La femme : – Si ta mère apprenait ça, elle n’aurait pas assez d’allumettes pour brûler tous les encens contre le mauvais sort.
Hé : – Je suis sûr qu’elle sait déjà.
La femme : – S’il fallait payer pour parler avec les morts, elle serait ruinée depuis longtemps !

Nouvel éclat de rire.

La femme : – Pourquoi elle n’est pas venue avec vous, ta mère ?
Hé : – Elles est vieille maintenant. Il faut qu’elle se repose.
La femme : – Cela fait six mois que je ne l’ai pas vue. Dis-lui que ses visites me manquent.

Hé : – Je n’y manquerai pas. S’adressant à Hèk : Viens boire un verre de bière, grand frère.

Hèk s’approche timidement.

La femme : – Il ne parle pas ton frère ?
Hé : – Il a perdu l’habitude de parler lao.

Hé pose un verre de bière à côté de Hèk.

Hèk (en laotien) : – Merci.
La femme : – Pourquoi il ne parle pas mieux ?
Hé : – Parce qu’il a grandi en France. Mais il parle très bien français.
La femme : – Heureusement pour lui !
Hé : – Et il comprend aussi le lao quand je lui parle. Pour les autres, je sais pas.

Les deux frères trinquent.
La femme berce son bébé.
Hèk contemple le spectacle de gens travaillant dans les rizières.

La femme montre une direction d’un mouvement de tête.
La femme : – Je crois que ton frère aime bien regarder ma fille Noï…
Hé : – C’est vrai qu’elle est jolie, Noï.

Hèk essaie de garder une certaine contenance, sans y parvenir.

La femme : – S’il veut, je la lui donne.
Hé : – Il est français maintenant, on ne peut pas lui parler comme ça.

Maintenant, Hèk prend le parti de faire comme s’il ne comprenait rien du tout. Il regarde tranquillement Noï, la jolie fille des rizières, silhouette lointaine inscrite dans le paysage.

La femme : – Vous avez encore beaucoup de route ?
Hé : – Je ne sais pas, ce n’est pas important… C’est pour papa qu’on fait ce voyage, les morts ne sont pas pressés.
Hèk : – N’oublie pas que Mère nous attend à la maison.
Hé : – Grand frère a raison. C’est pour elle aussi que nous faisons ce voyage.
La femme : – Je vais prier pour que ton tuk tuk ne tombe pas en panne !
Hé : – Merci. Nous aurons besoin d’un peu de chance pour arriver jusque chez papa !


20) RUES D’UN VILLAGE DE BORD DE ROUTE – EXT. NUIT
Les deux frères marchent au hasard dans les rues du village. Hé porte l’urne contre lui.
Hé : – Tu connais ce village, papa ?

Silence

Hèk : – Qu’est-ce qu’il dit ?
Hé : – Il dit que oui. C’était sur son trajet vers la capitale.

Le village est si peu éclairé qu’on perd souvent les silhouettes des deux frères.
Parfois, s’échappe d’une maison une trouée de lumière.


21) BAR A NOUILLES – VILLAGE DE BORD DE ROUTE – INT. NUIT
C’est un bar qui n’a de bar que le nom. On se croirait chez quelqu’un. Hé et Hèk sont les seuls clients. Ils ont fini de manger. Un petit garçon vient débarrasser.

Hé : – Petit, donne-nous deux bières et un verre de lao lao.
Le petit garçon  : – Nous n’avons plus de lao lao. Mais je peux aller en acheter au voisin.

Le petit garçon emmène les bols vides à la cuisine.
Un camion traverse le village, son bruit recouvre tout.
Après le passage du camion, une vieille dame vient servir les bières. Elle pose une grande bouteille devant Hé et Hèk.

La vieille dame : – Elles étaient bonnes mes soupes ?
Hé : – Oui, on s’est régalé. Papa doit être content.

Il montre l'urne posée en bout de table. A côté de l’urne, un bol de soupe refroidit. Une petite bougie répand sa faible lueur.

La grand-mère sort des bougies de ses poches. Elle les allume et les pose à côté de l’urne.
Enfin, elle récite une prière.

Le petit garçon revient de chez le voisin avec une bouteille de lao lao. 
Il la donne à la grand-mère.
La vieille dame : – Va chercher deux verres.

La grand-mère s'assoit à la table, en face des deux frères. 
Le petit garçon revient de la cuisine. Il donne deux verres à la grand-mère.

La vieille dame : – Vous dormez où ce soir ?
Hé : – Dans mon tuk tuk.
La vieille dame : – Il y a de la place chez nous.
Hé : – Ne vous inquiétez pas, grand-mère. On ne risque rien.
La vieille dame : – Je ne t'ai pas demandé ton avis, jeune homme. Ton père est ici chez lui.
Hé : – Veuillez me pardonner. Je ne voulais pas vous offenser.
La vieille dame : – Tu fais trop de manières. Et pense aussi à ton frère. Je vois bien qu'il n'a pas l'habitude de la vie rude des paysans de ton espèce.
Hé : – Je ne suis pas un paysan.
La vieille dame : – Il n'y a pas de honte à l'être. Je veux seulement dire que tu dois des égards à ton aîné ainsi qu'à ton père.
Hé : – Vous avez raison, grand-mère.

La grand-mère sert deux verres de lao lao. Elle en pose un à côté de l’urne et garde l’autre pour elle.

La vieille dame : – A ta santé grand-père. J’espère que tu seras bien chez moi.

Elle appelle son petit-fils.

La vieille dame : – Kham, prépare la chambre de ton père pour nos invités !

Le petit garçon était en train de faire son travail d'écolier. Il laisse ses affaires sur le sol et s'exécute.

Hé : – Nous ne voulons pas prendre la chambre de son père. Une natte sur la terrasse nous suffira.
La vieille dame : – Son père travaille comme journalier à cinquante kilomètres d'ici. Autant que sa chambre serve. Dites-moi plutôt où vous allez comme ça…
Hé : – Nous ramenons papa dans son village Thai Dam du côté de Muang Sing. Il n'y est jamais retourné après qu'il ait rencontré maman, il y a soixante ans.
La vieille dame : – Le chemin est encore long jusque là-bas.
Hé : – Nous couperons par la forêt.
La vieille dame : – C'est une erreur à éviter.
Hé : – On s'en souviendra quand on sera perdu.
La vieille dame : – Tu as tort de faire le malin.
Hé : – Je suivrai votre conseil.
La vieille dame : – Ne le fais pas pour moi mais pour ton père.
Hé : – Vous êtes là depuis longtemps ?
La vieille dame : – J'ai servi ma première soupe dans cette maison quand j'avais 9 ans. J'ai maintenant 79 ans.
Hé : – Papa a peut-être goûté une de vos soupes.
La vieille dame : – Quel était son métier ?
Hé : – Marchand ambulant.
La vieille dame : – Il s'est forcément arrêté une fois chez moi. Et ceux qui s'arrêtaient une fois revenaient les fois suivantes.

Hé montre à la grand-mère une photo de son père. On le voit posant fièrement devant son chariot rempli de marchandises.

La vieille dame : – Je me souviens de lui. Il aimait faire la sieste dans un hamac avant de reprendre la route. Toujours souriant, jamais pressé.
Hé : – C'est bien son portrait.
(Appelant le petit garçon) Hé, petit, sers un autre verre de lao lao à mon père.
La vieille dame : – Il a perdu sa langue, ton frère ?
Hé : – Il a grandi en France. C'est son premier retour au pays.
La vieille dame : – Cela n'a aucune importance. Le pays est le même, il est la même personne que quand il est parti. Vous vous ressemblez beaucoup.

Le petit garçon apporte un verre de lao lao qu'il dépose devant l'urne à côté du premier verre. 

La vieille dame : – Je dois vous laisser, il faut que je prépare les pâtes pour demain. Ne partez pas sans me dire au revoir.
Hé : – Nous devons partir très tôt.
La vieille dame : – Je me coucherai après vous et me lèverai avant.
Hé : – Alors, à demain, grand-mère. Merci infiniment.

Hèk appelle le petit garçon.

Hèk : – Petit, amène une autre bouteille de bière.
Hé : – Tu sais dire les choses importantes !
Hèk (en laotien) : – Oui. Et grand-mère a raison, on se ressemble beaucoup.


22) BAR A NOUILLES – VILLAGE DE BORD DE ROUTE – EXT. NUIT matin
Hé et Hèk saluent la grand-mère en levant leurs mains jointes vers leur visage.
La grand-mère leur donne un panier de riz gluant, et des sacs en plastique contenant de la soupe de légumes.
Quand les deux frères prennent congé, la grand-mère continue à préparer ses soupes. La fumée des marmites monte en formant des volutes tournoyantes. Le silence règne dans la maison. Au loin, on entend le gong du matin de la pagode du village.


23) GRANDE ROUTE - EXT. JOUR
Le tuk tuk roule à pleine vitesse : 40 km/h. Son bruit de tondeuse ne laisse rien entendre des paysages traversés. Hèk dort en chien de fusil à l'arrière du tuk tuk, en essayant de ne pas tomber de la banquette. Il tient l'urne serrée contre son corps. Il est ballotté de gauche à droite par les mouvements du véhicule.

Une jeune femme lui ayant fait signe, Hé s'arrête pour l'embarquer. Il réveille son frère en le secouant à l'épaule.

La jeune femme est une beauté sans le sou. Ses vêtements sont rapiécés et sales, mais ses cheveux sont noués avec soin. Visage aux traits réguliers, indéchiffrable. Hèk la regarde d'abord par des coup d'oeil furtifs. Puis il n’ose plus la regarder. La fatigue du voyage se lit sur son visage.

La jeune femme descend quelques kilomètres plus loin. 
Le tuk tuk redémarre, roule sur cinquante mètres avant de s'arrêter en hoquetant.

Hé : – Plus d'essence.

Hèk descend du tuk tuk. Il regarde autour de lui. Rien qui ressemble à une station d'essence.
La jeune femme arrive à leur hauteur.
La jeune femme : – Suivez-moi.

Hé prend l'urne avec lui et les deux frères suivent la jeune femme qui marche cinq mètres devant eux. Un peu plus loin, elle coupe à travers une haie de jasmin. Ils la suivent ainsi jusqu'à une boutique, sorte d'épicerie avec presque rien sur les étals. La jeune femme prend sur une étagère une bouteille en plastique remplie d'essence.

La jeune femme : – Vous avez de la chance, c’est ma dernière.
Hé : – C’est toi, notre chance.
Hé lui donne un billet.

Hèk : – Je suis fatigué. Faisons une pause.
Hé : – On fera une pause plus tard. Il faut d'abord trouver une station pour faire le plein avant que la nuit n’arrive.
Hèk ne discute pas la décision de son frère. Il a pour la belle un regard plein de tristesse avant de partir.


24) STATION D'ESSENCE - EXT. JOUR fin de journée
Pendant que Hé fait le plein d'essence, Hèk boit une bière à la terrasse du bar de la station.
Puis, après avoir garé le tuk tuk, son frère vient le rejoindre. Ils trinquent.

Hé : – Si la fille de tout à l'heure te plaît, on peut rencontrer ses parents au retour.

Hèk n'a pas tout saisi. Mais il a repéré le mot "phousao" qui veut dire belle et jolie jeune femme.

Hèk : – Quelle phousao ?
Hé : – La fille de tout à l'heure, on peut rencontrer ses parents au retour.
Hèk : – Pourquoi tu me parles des parents de la fille ?
Hé : – On fait comme ça ici.
Hèk : – Pas envie de voir ses parents.
Hé : – Alors oublie la fille.
Hèk : – J'avais déjà oublié.
Hé : – Menteur ! Comment tu fais en France ?
Hèk : – En France, j'évite de croiser les parents.
Hé : – Drôle de pays... (En se tournant vers l'urne) Hé, papa, tu ne sais pas où tu as envoyé mon grand frère !


25) LUANG PRABANG - GUEST HOUSE - CHAMBRE - INT. NUIT
C'est la première fois que Hé va dormir dans une guest house. Il inspecte la chambre, ouvrant les placards un par un. Enfin, il examine le contenu du frigo.

Hé : – Il y a du champagne français !
Hèk (en français) : – Bonne idée, buvons du champagne. Nous l’avons bien mérité !
Hé : – 40 dollars...
Hèk (en français) : – Il faut espérer qu’il soit bon.

Hé donne la bouteille à Hèk. Puis deux flûtes. Hèk s'installe dans le lit pour ouvrir la bouteille.

Hèk (en lao) : – Goûte-moi  ça...

Hé boit cul sec.

Hé : – Je vais plutôt prendre une bière.
Hèk (en français) : – Je vais mettre papa dans le coffre-fort. Faut pas qu'il voie ça !

Il se lève pour mettre l'urne dans le coffre fort.




26) LUANG PRABANG - GUEST HOUSE - CHAMBRE - INT. NUIT
Les deux frères se sont endormis tout habillés dans le même lit. La bouteille de champagne est vide. Trois grandes bouteilles de bière sont dispersées à travers le lit.

Une bouteille en tombant sur le sol réveille Hé. Il se lève en bâillant. Puis il sort de la chambre après s'être rincé le visage au lavabo.

Un peu plus tard, un gros gecko (lézard) traverse lentement le mur côté terrasse. Il disparaît derrière un rideau. Il reste là sans bouger et se met à chanter : kapkooo, kapkoo, katchèèèè.

Hèk se réveille à son tour. Il regarde le spectacle des bouteilles vides.
Après s’être levé, il se dirige vers le coffre-fort et l’ouvre. La lumière de la chambre éclaire faiblement l’urne.

Dans le calme de la nuit, Hèk parle à son père.

Hèk (en français) : – Père. A la maison, personne n’a compris pourquoi tu m’avais fait partir en France... Surtout maman qui t’en veut encore. Moi, je dois admettre que j’étais très content de partir à l’autre bout du monde. Imagine, je n’étais jamais allé plus loin que la rizière de grand-mère… Quel drôle de choc !

Une bougie s’éteint. Hèk la rallume avec son briquet.

Hèk : – Père… Maman n’en a plus pour longtemps à vivre. Il est temps de vous réconcilier.

Silence de la nuit.


27) LUANG PRABANG - GUEST HOUSE - BAR - INT. NUIT
Hé est en belle compagnie. Il est à la table d’une Française. Hèk reconnaît la jeune femme rencontrée à l'aéroport de Vientiane.

La femme française : – Je comprends maintenant pourquoi j'avais l'impression de connaître ce monsieur. C'est votre frère !
Hèk : – Hé, oui !
La femme française : – En tout cas, il est plus bavard que vous.
Hèk : – Ne me dites pas qu'il vous drague en français...
La femme française : – Non, mais je l’impression de le comprendre et je jurerais qu'il me comprend aussi.
Hèk : – L'alcool permet ce genre de miracle.
La femme française : – Fêtons nos retrouvailles, offrez-moi un verre !

Hèk fait signe à la serveuse de s'approcher.

Hèk : – Qu'est-ce que vous buvez ?

La jeune femme montre son verre de vin blanc à la serveuse.

La femme française : – Same thing.
Hèk (à la serveuse) : – Whisky.
Hé : – Bia lao (bière lao)
La serveuse débarrasse les verres vides puis elle va chercher les commandes.

La femme française : – Votre frère m’a dit en anglais lao que aviez vidé le frigo de votre chambre… C’est vrai ?
Hèk : – Oui, on a fêté la chance d’être encore en vie après quatre cents kilomètres de voyage en tuk tuk !
La femme française : – C’est indiscret de vous demander où vous allez comme ça en tuk tuk ? C’est pour le livre des records ?
Hèk : – Nous ramenons notre père dans son village.
La femme française : – Votre père fait le voyage avec vous ?
Hèk : – Oui.
La femme française : – Vous me le présenterez ?
Hèk : – Non.

Petit moment de gêne.

Hé : – Phousao ni, ngam laï (cette fille-là, elle est très jolie)
La femme française : – Qu'est-ce qu'il dit ?
Hèk : – Il dit que vous êtes très jolie.
(en anglais lao) : – Phousao ni, very nice.
La femme française : – Dites-lui que je le trouve très beau.
Hèk : – Je peux vous laisser si vous voulez...
La femme française : – Allez, on peut rigoler un peu !
Hèk : – Je ne suis pas très drôle.
La femme française : – J'avais deviné !
Hèk : – Dites-moi plutôt ce que vous faites-là.
La femme française : – Si je le savais ! En tout cas, maintenant je sais ce que voyager en bus veut dire !

Hé : – Ho, yak noon... (Ho, j'ai envie de dormir)
La femme française : – Il veut danser ?
Hèk : – Non, il veut aller se coucher.
Hé : – Sleeping !
La femme française : – Pas question. Dansons !

La jeune femme va au bar. Elle dit quelque chose au barman puis revient.
Elle reste debout devant la table. La lumière baisse. Débute la chanson Hôtel California en version lao. Tendant la main à Hé, elle l'invite à venir danser. Hé ne se fait pas prier. Il n'est plus du tout fatigué.
Sur la piste, Hé est un danseur émérite. Il tient la jeune femme dans ses bras comme un cadeau de la vie.
A contempler le tableau, Hèk ressent toute la joie de son frère.
La serveuse amène les boissons et s'assoit à côté de lui. Dans ses habits de lumière, on dirait une chanteuse qui va entrer sur scène.


28) LUANG PRABANG - GUEST HOUSE - CHAMBRE - INT. JOUR
Hèk fait sa valise. Il commence à siffler Hôtel California avant de s'arrêter au milieu de la mélodie. Il entend des pas dans le couloir.
Hé fait son apparition. Il se laisse tomber sur le lit et s'endort.
Hèk vient vers lui, le secoue pour voir son degré d’endormissement. Aucune réaction de Hé.

Hèk (en français) : – Il manquait plus que ça…


29) LUANG PRABANG - GUEST HOUSE - JARDIN - EXT. JOUR
Hèk fume une cigarette au fond du jardin.
La femme française le rejoint.

La femme française : – Votre frère vous a abandonné ?
Hèk : – Il dort. Je ne suis pas sûr qu’il se réveille avant le coucher du soleil.
La femme française : – Dans ce cas, nous avons tout le temps devant nous.
Hèk : – Pour quoi faire ?
La femme française : – Pour faire connaissance.
Hèk : – Au moins, vous devez bien connaître mon frère, maintenant.
La femme française : – Il a la peau douce, il est très attentionné et il s’endort très vite !
Hèk : – Joli portrait !
La femme française : – Vous n’êtes pas jaloux de votre frère, quand même !
Hèk : – Non, je suis seulement intrigué par vous. Vous faites une drôle de touriste.


30) LUANG PRABANG – BORD DU MEKONG - EXT. JOUR
Hèk et la femme française marchent en silence au bord du fleuve, en contrebas d’une pagode.
De la pagode, on entend les éclats de voix et de rire des novices. Sur le fleuve, un pêcheur remonte lentement ses filets. On entend par moments les clapotis que provoquent ses gestes dans l’eau. La lumière de midi donne au fleuve l’aspect d’un miroir.

La femme française : – J’ai acheté mon billet sur internet. J’aurais pu aussi bien atterrir au Pérou ou à l’île de Pâques.
Hèk : – Il n’y a pas de hasard dans la vie.
La femme française : – Je vais finir par le croire, si on se rencontre une troisième fois.

Un temps

La femme française : – Pourquoi est-ce que vous êtes parti en France sans votre famille ?
Hèk : – Mon père avait décidé tout seul. Ma mère n’était pas au courant. Il avait le projet de faire partir tout le monde. Mais cela n’a pas pu se faire. J’ai été élevé par une famille française.
La femme française : – Vous en voulez toujours à votre père ?
Hèk : – Je ne lui en ai jamais voulu. J’étais tellement content de partir en voyage !
La femme française : – Mais pourquoi avoir attendu si longtemps avant de revenir ?
Hèk : – Parce qu’en changeant de pays, en quittant ma famille, j’étais devenu une autre personne. En fait, je pensais que je ne reviendrais jamais.

Silence

Hèk : – La semaine dernière, un cousin qui vit en France, et qui revenait d’un voyage au Laos, est venu me voir. Il m’a appris que ma mère était malade, qu’il ne lui restait que quelques mois à vivre. J’ai aussitôt décidé de revenir dans mon pays.



Silence

Hèk : – Et vous, qu’est-ce que vous êtes venue faire ici ?
La femme française : – Je crois que j’en ai assez d’être la même personne dans ce pays qu’on appelle la France.

Hèk s’est arrêté de marcher, laissant la femme s’éloigner de quelques mètres.

La femme se retourne. Hèk va vers elle, et vient dans ses bras. Ils restent longtemps ainsi sans bouger.


31) CHEMIN DE MONTAGNE - EXT. JOUR
Le tuk tuk monte une côte au ralenti, à 15 km/h. La lenteur du tuk tuk renforce l'impression d'épuisement sur le visage de Hé. On dirait qu'il va s'endormir au guidon du tuk tuk.


32 ) CHEMIN DE MONTAGNE - EXT. JOUR
Hèk a pris la place de Hé au guidon du tuk tuk. Hé dort à l'arrière. Il y a tellement de trous sur le chemin que le tuk tuk doit zigzaguer pour avancer. Le manque d'habitude du conducteur fait que le véhicule avance par soubresauts. Finalement, le tuk tuk s'immobilise au milieu de nulle part. Hèk le pousse sur le côté.

Hé semble parti pour dormir longtemps. Hèk tente en vain de le réveiller.

Hèk regarde autour de lui. Pas une maison, pas une âme qui vive. Il fait des pas dans toutes les directions. Finalement, il quitte le chemin pour rentrer dans la forêt.


33) FORET DE MONTAGNE - EXT. JOUR
Hèk se fraie difficilement un passage dans la jungle. La densité de la végétation et le relief accentué rendent pénible sa progression. Il décide de faire demi-tour.
Dans l'autre sens, ce n'est pas plus facile. Son front perle de transpiration. Bientôt, il doit se rendre à l'évidence : il est perdu. Le bruit de la jungle (craquement des arbres, chant des insectes, cris des mammifères) ajoute à l'angoisse qui monte.
Quand enfin il se retrouve sur le chemin, il ne reconnaît pas son point de départ. Il regarde à droite, à gauche et décide d'aller vers la droite, dans le sens de la montée.


34) CHEMIN DE MONTAGNE - EXT. JOUR
Hèk marche longtemps sur le chemin de montagne. A chaque sortie de virage, il espère qu'il va apercevoir le tuk tuk. Après avoir marché plusieurs centaines de mètres en vain, il fait demi-tour. Dans la descente, c'est plus facile et plus rapide. Il lui faut peu de temps pour arriver à un embranchement situé en aval. Il regarde avec inquiétude vers les hauteurs. Il regarde le nouveau chemin dont il ne reconnaît rien. Il décide de faire une nouvelle fois demi-tour.





35) CHEMIN DE MONTAGNE - EXT. JOUR
Hèk marche lentement avec le peu de force qui lui reste. Le jour commence à baisser, il est résigné, son visage n'exprime plus rien. A force de monter, il atteint un col. Passé ce point, le chemin bascule sur une petite vallée encaissée. Il aperçoit un village.


36) VILLAGE DE MONTAGNE - EXT. JOUR
Hèk n'a pas belle allure. Son costume est déchiqueté, il s'est assis à même le sol pour boire du jus de canne à sucre acheté à un marchand ambulant.


37) MARCHÉ - VILLAGE DE MONTAGNE - EXT. NUIT
Hèk parcourt les allées du marché. Les étals sont peu fournis. Un peu de viande, des poissons, beaucoup d'objets en plastique made in China. Il s'arrête à la table d'un marchand de soupe et grillades. Il commande un véritable festin pour se remettre de ses émotions : soupe, brochette de crabes des rizières, poulet grillé, salade de papaye, riz gluant et une bière.

Le cuisinier : – Vous êtes tout seul ?
Hèk : – Oui.
Le cuisinier : – Vous avez très faim !
Hèk : – Oui.
Le cuisinier : – Vous allez vous régaler. Je suis le meilleur cuisinier du village.
Hèk : – On est où ?
Le cuisinier : – Vous êtes à Ban Souk. (En français : le village de la chance)

Hèk allume une cigarette.
Le cuisinier va préparer les commandes.

Hèk (à lui-même, en français) : – Ban Souk, le village de la chance… Tout va bien, alors.

Hé arrive à ce moment-là. Il a l'air bien reposé et ne semble pas s'être inquiété pour son frère.
Il s'assoit et commande une bière.

Hé : – J’étais sûr que je te trouverais là !
Hèk : – Très drôle…
Hé : – Il n’y a pas d’autre village à moins de trente kilomètres.
Hèk : – J’espère au moins que tu as bien dormi.
Hé : – C’était trop bon. J’en avais vraiment besoin. Cette nuit, pas moyen de dormir… Quelle bavarde, la Française ! Je crois bien qu’elle a parlé toute la nuit. Elles sont toutes comme ça en France ?
Hèk : – Non. En tout cas, tu lui plais bien !
Hé : – C’est toi qui l’intéresse. Et je vois bien que tu es attiré par elle.
Hèk (en français) : – Je n’ai pas fait ce voyage pour repartir avec une Française…
Hé : – Qu’est-ce que tu dis ?
Hèk : – Rien. Je suis fatigué.

Le cuisinier amène les deux bières.
Hé commande son repas.



Hé : – Soupe de nouilles chinoises, légumes sautés, porc caramélisé, calamars frits, riz gluant.
Le cuisinier : – Vous êtes frères ?
Hé : – Oui.
Le cuisinier : – Je ne voudrais pas avoir des fils comme vous, mais comme clients vous êtes parfaits !
Hé : – Oh, j'oubliais papa... Préparez-lui du poisson chat grillé avec un bol de riz. Je vais le chercher.


38) CHEMIN DE MONTAGNE - EXT. JOUR, petit matin
Le tuk tuk vient à bout d’une longue montée. Au passage du col, le paysage s’ouvre sur une vaste vallée. Au loin, se détache la silhouette d’une montagne. Les deux frères s’arrêtent et descendent du tuk tuk. Hé va pisser au bord de la route. Hèk contemple le paysage

Hé revient.

Hé : – Muang Sing est de l’autre côté de cette montagne. Le Vietnam est par ici, et la Chine par là. Nous avons encore une journée de route.


39) RIZIERE DE MONTAGNE - EXT. JOUR

Les deux frères se sont arrêtés près d’une rizière sèche. Ils se sont installés dans une cabane sur pilotis pour se reposer. Le tuk tuk est garé à l’ombre d’un frangipanier, un peu plus loin.

Hé : – Si je roule bien, on arrivera avant la nuit.

Hèk est fatigué, il n’a pas la force de répondre. Il s’allonge pour dormir, imité bientôt par son frère.


40) RIZIERE DE MONTAGNE - EXT. CHIEN ET LOUP
Hé secoue son frère pour le réveiller.

Hé : – Grand-frère, réveille-toi. Papa a disparu.
Hèk : – Qu’est-ce que tu dis ?
Hé : – Il n’est plus dans le tuk tuk.

Hé regarde dans toutes les directions. Puis il appelle son père.
Hé : – Papa, papa !

Pas de réponse, mais des bruits de voix du côté de la forêt.
Hé : – Par ici…

Les deux frères s’engagent dans la forêt. Ils arrivent bientôt dans une clairière au centre de laquelle se dresse une grande maison sur pilotis. Une famille est rassemblée sur la terrasse dans la faible lueur d’un néon.


41) MAISON DE LA CLAIRIERE – TERRASSE - EXT. NUIT
En pénétrant sur la terrasse de la maison, les deux frères aperçoivent l’urne posée sur l’autel des ancêtres. Ils saluent respectueusement les habitants en s’agenouillant et en joignant leurs mains devant leur visage. Il y a là un vieil homme, entouré de son fils, de sa bru  et de ses trois petits-enfants.

Le vieil homme : – Vous êtes des mauvais fils. Comment osez-vous abandonner une urne funéraire dans un misérable tuk tuk ?
Hé : – Nous avons fait beaucoup de route, déjà. Nous avons pensé que Père serait mieux dans le tuk tuk à l’ombre du frangipanier.
Le vieil homme : – Sottises ! Prosternez-vous trois fois devant lui.

Toute la famille éclate de rire.
Les deux frères s’exécutent. Ils marchent sur les genoux jusqu’à l’autel et se prosternent trois fois.

Le vieil homme : – Promettez-moi de ne plus recommencer.
Hé : – Nous vous le promettons.
Le vieil homme : – Bientôt, j’habiterai une urne comme votre père. Je détesterais que mes enfants m’oublient dans un tuk tuk.

De nouveau, tout le monde rigole.
La bru apporte du thé qu’elle sert à tout le monde.


42) MUANG SING – RUE PRINCIPALE – EXT. NUIT
Le calme règne dans le village. Les deux frères vont de maison en maison frapper aux portes.
Ils racontent leur voyage en montrant l’urne et la photo de leur père. Personne ne le reconnaît.
Le village n’est pas grand. En une heure, ils ont fait le tour des maisons. Résignés, ils vont se réfugier dans une boutique de soupes.


43) MUANG SING – BOUTIQUE DE SOUPES – EXT. NUIT
N’ayant pas d’appétit, ils commandent une soupe seulement pour leur père, préférant, pour leur part, trouver du réconfort en buvant du lao lao.

Le maître des lieux vient leur tenir compagnie. Il se sert un verre de lao lao.

L’homme : – Ca n’a pas l’air d’aller fort…
Hé : – C’est vrai, on a connu mieux.
L’homme : – Ne vous laissez pas abattre, trinquons !

Les trois hommes trinquent et boivent cul sec.

L’homme : – Vous n’êtes pas d’ici.
Hé : – Nous venons de Vientiane.
L’homme : – Avec ce tuk tuk ?
Hé : – Oui, je suis chauffeur de tuk tuk.
L’homme : – Vous savez qu’il y a des avions qui desservent Luang Prabang et des bus qui viennent jusqu’ici ?
Hé : – Papa faisait le trajet à pied.
L’homme (regardant l’urne) : – C’est lui ?
Hé : – Oui.

L’homme va dans une pièce attenante.
Il revient avec des bougies et de l’encens.
Il allume bougies et encens qu’il dispose autour de l’urne.

L’homme : – C’est la première fois qu’il revient chez lui ?
Hé : – Oui.
L’homme : – Vous avez une photo de lui ?

Hé sort de sa veste la photo de son père. Il la pose sur la table devant l’homme.
L’homme regarde la photo. Sans rien dire, il retourne dans la pièce attenante. Il revient avec une photo qu’il pose sur la table. C’est la même.

L’homme : – C’est mon oncle Khak.
Hé : – Son nom est Khakhoun.
L’homme : – C’est le frère de mon père.

Hèk a tout suivi de la conversation. Il se rapproche de la table en penchant son corps en avant.

Hèk (en laotien) : – Tu es notre cousin ?
L’homme : – On dirait que oui.

Silence. On entend un camion traverser le village.

L’homme (en se tournant vers la pièce attenante) : – Ma femme, viens ici. On a de la visite !

Sa femme apparaît.

L’homme : – Je te présente les fils de Tonton Khak.

La femme s’approche timidement.

L’homme : – Ce soir, nous allons faire la fête. Je vais tuer une chèvre !
Hèk : – Attendons demain, j’aimerais que toute sa famille soit réunie.
L’homme : – Tout le monde est parti aux Etats-Unis. Je suis le seul qui soit resté.
Hèk : – Pour quelle raison ?
L’homme : – J’ai raté le tuk tuk qui devait nous amener au bateau !
Hèk : – Ils ne t’ont pas attendu ?
L’homme : – Ils n’avaient pas le choix.
Hèk : – C’est vraiment pas de chance !
L’homme : – Je ne me plains pas. J’ai une femme douce et travailleuse, et mon commerce est honnête.
Hèk : – Tu n’es pas habillé comme un Thai Dam.
L’homme : – A quoi bon… Je me suis retrouvé tout seul, à quinze ans j’ai dû recommencer ma vie. (Se tournant vers une chambre) Kèo, viens saluer tes tontons.

Apparaît un jeune homme de vingt ans. Il s’agenouille pour saluer Hé et Hèk.

L’homme : – Maintenant, prends un bon couteau et va tuer une chèvre.

Le jeune homme descend l’escalier qui mène au jardin.

L’homme : – Nous boirons le sang ce soir. Nous mangerons la viande demain. Elle cuira toute la nuit.


44) MUANG SING – BOUTIQUE DE SOUPES – EXT. NUIT
Le jeune homme apporte une bassine en aluminium remplie du sang de la chèvre. Il la pose au centre de la table. La femme amène des petits bols contenant des herbes finement ciselés, de l’ail, des piments. Le cousin verse dans des verres un mélange de lao lao et de sang de chèvre. Il ajoute dans chaque verre les herbes, l’ail et le piment.
Il dépose un verre devant l’urne.
Quand vient le moment de trinquer, il est visible que Hèk préfèrerait être ailleurs. Il vide son verre lentement en fermant les yeux.


45) MUANG SING – BOUTIQUE DE SOUPES – EXT. NUIT
Hèk s’est éloigné de la maison pour fumer une cigarette.
Il est rejoint par le fils de son cousin.

Le jeune homme : – How long will you stay with us ?
Hèk : – A few days… Mother is waiting for us.
Le jeune homme : – I did’nt know that we had parents in Vientiane.
Hèk : – It’s nice to meet you. You should come with us to Vientiane, so you can see how big is your family.
Le jeune homme : – I would love it, but I have to prepare my exams. Maybe next summer.
Hèk : – Where have you learned to speak english ?
Le jeune homme : – In Luang Prabang, in a private school.
Hèk : – Your accent is good.
Le jeune homme : – Thank you, my uncle.
Hèk : – What will you do after finished your studies.
Le jeune homme : – Any kind of business in Luang Prabang.
Hèk : – Do you want a cigarette ?
Le jeune homme : – Yes, please.

Oncle et neveu fument en silence. De la maison, parviennent les éclats de rire de Hé et de son cousin retrouvé.


46) MAISON DU COUSIN – TERRASSE – INT. NUIT
Le neveu chante pour l’assemblée une chanson de Loso, star de la chanson pop thaïlandaise, en s’accompagnant à la guitare.

L’urne du père est posée sur l’autel des ancêtres située au-dessus d’eux. De nombreuses bougies sont allumées, projetant dans l’espace une lumière tremblée.


47) ROUTE DU RETOUR – EXT. JOUR
Hèk conduit le tuk tuk à vive allure, sourire aux lèvres.
Hé se laisse emmener, profitant du paysage. L’urne est attachée sur le siège à côté de lui.

Le tuk tuk passe devant la boutique où, à l’aller, une jolie jeune femme les avait dépannés d’une bouteille d’essence.

Hé : – Grand frère, tu veux qu’on s’arrête chez la belle ?
Hèk : – Une autre fois, merci. Je reviendrai sans toi !

Hèk accélère.
Un peu plus loin, sur la route, la belle apparaît, marchant en sens inverse.
Hèk ralentit pour étirer l’instant au maximum.


48) PAGODE – VILLAGE FAMILIAL - EXT. JOUR
L’urne a retrouvé sa place dans la pagode. La mère de Hèk est seule, parlant à son défunt mari. Hé et Hèk se tiennent à l’écart, tenant compagnie aux novices.

La mère : – J’espère que le voyage s’est bien passé. Les garçons ne racontent pas beaucoup. J’ai fait des offrandes pour toi tous les jours, et pour tes ancêtres aussi. Je suis contente que tu aies pu revoir ton village. Je suis contente aussi que tu sois revenu. Je vais pouvoir me reposer maintenant. Hèk doit repartir en France dans quelques jours. Il faudra que tu m’aides, ça va être difficile, comme il y a trente-cinq ans. Pour la peine, je t’ai acheté du vin français. Savoure-le…

Elle ouvre une bouteille de vin rouge. Elle en verse dans un verre et pose la bouteille ouverte à côté de l’urne. Puis elle s’en retourne chez elle. Hé et Hèk la regardent s’éloigner, frêle silhouette sur le chemin de terre.


49) PAGODE – VILLAGE FAMILIAL - EXT. JOUR
Hé et Hèk s’entretiennent avec le Vénérable dans le jardin de la pagode.

Le Vénérable : – Est-ce que vous avez informé votre mère de sa maladie ?
Hé : – Non, pas encore.
Le Vénérable : – Il ne faut plus tarder. Elle doit savoir.
Hèk : – Ce n’est pas facile.
Le Vénérable : – Ce qui importe maintenant, c’est que vous soyez réunis et que vous soyez à  ses côtés. S’adressant à Hèk : Et toi, Hèk, tu peux t’estimer heureux d’avoir pu revoir ta mère vivante.


50) MAISON FAMILIALE – CUISINE - EXT. NUIT
Papao, la nièce de Hèk, lave le riz du soir. Hèk s’approche. Il s’assoit sur un tabouret et l’observe.

Les deux personnages n’échangent pas de paroles. La jeune Papao est concentrée sur ce qu’elle fait. Rien d’autre ne semble pouvoir la perturber.
Quand elle a fini de laver le riz, elle entreprend d’allumer un feu de bois.
Hèk l’aide à transporter et couper des branches.
Quand le feu a pris, Papao met le riz à cuire.

Papao : – Merci, Oncle.

Elle lui donne un couteau.
Hèk : – C’est pour faire quoi ?
Papao : – Il faut tuer une poule pour la soupe.

Hèk prend le couteau qu’il repose aussitôt sur le sol.
Hèk (en français, à lui-même) : – Avant de la tuer, il faudrait d’abord que je l’attrape !

Hèk sort de la maison ; il allume l’éclairage extérieur. Les poules se dispersent en poussant des cris. Papao encourage son oncle tout en riant de sa maladresse. Bientôt, Hèk se retrouve dans le jardin des voisins à la poursuite d’une poule.


51) MAISON FAMILIALE – TERRASSE - INT. NUIT
Hèk est occupé à plumer une poule. Papao lui tient compagnie.
Papao : – Cette poule n’est pas très belle… Ce n’est pas grave, la soupe sera bonne quand même.
Hèk : – J’ai pris celle qui courait le moins vite.
Papao : – On ne mange pas de poule en France ?
Hèk : – Si, mais on n’a pas besoin de leur courir après.
Papao : – J’aimerais vivre en France. Tu m’emmèneras un jour ?

Hèk : – Oui, mais seulement pour visiter.

Une voix appelle Papao
Papao : – C’est grand-mère, il faut que j’aille l’aider.

Papao partie, Hèk se retrouve seul. Il écoute les sons de la maison et les sons du village qui lui parviennent du dehors.
Hé vient le rejoindre. Il s’installe pour couper la poule. Hèk allume une cigarette.

Hèk : – Petit frère. Merci de m’avoir aidé. Grâce à toi, je me sens vraiment chez moi ici.
Hé : – Je n’ai rien fait. Et tu seras toujours chez toi ici.
Hèk : – Heureusement que tu es là pour ma maman.
Hé : – Ne t’inquiète pas pour elle. Son cœur est en paix maintenant.


52) VIENTIANE – RUES DE LA VILLE - EXT. JOUR
Hé a mis son costume des grands jours pour accompagner son frère à l’aéroport.
Dans son tuk tuk, il a embarqué sa mère, Papao et Hèk. Ce dernier regarde la ville.
Sur l’esplanade qui borde le Mékong, dans le centre-ville, il croit apercevoir la jeune femme française.

Hèk (criant à l’adresse de son frère) : – Regarde sur ta gauche, c’est ta copine française !
Hé : – Ce n’est pas elle. C’est juste parce que tu penses à elle !

53) NORD DU LAOS – VERS LA FRONTIERE CHINOISE - EXT. JOUR
La femme française est dans un tuk tuk roulant sur un chemin de terre qui longe une rivière. Son visage est apaisé, presque souriant. En face d’elle est assise une femme de l’ethnie Thaïdam, toute de noir vêtue.

Le tuk tuk s’arrête à proximité d’un pont en métal.
La femme française descend. Elle va donner de l’argent au chauffeur.
Ce dernier lui montre la direction du pont avec la main.

Le chauffeur de tuk tuk : – China is other side. China ! Good luck !

La femme française remercie à la manière laotienne, en joignant les mains devant son visage.
Puis elle s’engage sur le pont.
Elle s’éloigne, devient de plus en plus petite, une silhouette parmi d’autres.



54) VIENTIANE – AEROPORT - EXT. JOUR

Sur le parking, les autres chauffeurs de tuk tuk se moquent du costume de Hé.

Devant l’entrée de l’aéroport, Hèk prend longuement sa mère dans ses bras.
La mère : – N’attends pas trente-cinq ans avant de revenir.
Hèk : – Je reviendrai dans deux semaines. Et je resterai avec toi.
La mère : – Ne fais pas de promesses en l’air.
Hèk : – Ce ne sont pas des promesses en l’air. J’habiterai avec toi au village.

Hèk salue sa mère en joignant ses mains et en baissant la tête.
Hé a sorti les bagages de Hèk du tuk tuk. Avec l’aide de Papao, il les emmène à l’intérieur de l’aéroport.

La mère s’éloigne pour abréger les adieux. Hèk s’engouffre dans l’aéroport sans se retourner.

La mère marche seule vers la ville. Elle se fond bientôt dans la foule du quartier de l’aéroport.

Elle est déjà loin de l’aéroport quand le tuk tuk de Hé la rattrape.
Elle monte dans le tuk tuk.

Le tuk tuk disparaît dans le trafic.



Hèk salue sa mère en joignant ses mains et en baissant la tête.
Hé a sorti les bagages de Hèk du tuk tuk. Avec l’aide de Papao, il les emmène à l’intérieur de l’aéroport.

La mère s’éloigne pour abréger les adieux. Hèk s’engouffre dans l’aéroport sans se retourner.

La mère marche seule vers la ville. Elle se fond bientôt dans la foule du quartier de l’aéroport.

Elle est déjà loin de l’aéroport quand le tuk tuk de Hé la rattrape.
Elle monte dans le tuk tuk.

Le tuk tuk disparaît dans le trafic.