jeudi 24 novembre 2011

Lettre à mon interprète


Bonjour 
Je suis Kiyé, réalisateur du film "Tuk tuk"
Nous nous rencontrerons dans une semaine, il est temps d'un premier contact par mail.
Le travail du cinéma est difficile à décrire, il exige beaucoup d'énergie, de réflexion, d'échanges. Et la traduction est une démarche permanente, pas seulement d'une langue à une autre, vous le verrez. Et peut-être pouvons-nous employer le tutoiement, forme plus directe de relation. 
De tous les postes dans une production de film, celui de réalisateur est le moins spécialisé. Je ne suis pas technicien, ni producteur, et j'ai le privilège d'être entouré de personnes qui oeuvrent à mes côtés. Mon travail, s'il en est un, consiste à formuler mes intentions au mieux afin que se réalise au plus près de mes intentions la fabrication d'un film. C'est dans ce sens-là que je parle d'une démarche permanente de traduction. Sur le tournage, un opérateur caméra fera les images pour moi. Il doit me comprendre. Une opératrice fera le son pour moi, elle doit me comprendre. De même du côté de la production, et nous avons la chance d'avoir Mélanie à la direction de production.
Pour ce qui te concerne, il est certain que cela sera différent de ce que tu as pu faire auparavant. Alors, oui, tu dois traduire nos paroles (celles de Frédérique, mon assistante qui sera aussi comédienne sur le tournage, et les miennes) pour les gens que nous rencontrerons. Mais tu seras aussi une sorte de deuxième assistante, impliquée dans l'élaboration du film au fur et à mesure que nous avancerons dans le travail. C'est pourquoi, j'ai demandé à Mélanie de t'envoyer le scénario du film. Il est essentiel en effet que tu aies la pleine compréhension du projet, car c'est toi qui auras en charge de le transmettre aux gens que nous solliciterons pour jouer dans le film. Ce qui me tient le plus à coeur, c'est que les gens ne se méprennent pas sur nos intentions. Ce film est enraciné dans l'histoire du Laos et dans la mentalité de ses habitants. C'est une fiction, c'est aussi un film de famille. Enfin, pour l'heure, nous commençons avec un budget modeste. Ce n'est pas un débarquement en terre laotienne de l'industrie du cinéma français. Mon frère et ma mère joueront dans le film, et tous les seconds rôles, à l'exception de celui interprété par Frédérique, seront joués par des acteurs amateurs. Durant les repérages, nous devrons donc trouver des lieux et des personnes qui correspondent aux personnages que j'ai inventés. En deux semaines, c'est tout simplement vertigineux. Notre voyage ne manquera pas de suspense ! Car le temps passe très vite quand on part à l'aventure à la recherche de lieux et de personnes que nous ne connaissons pas encore. Nous devrons compter sur la chance...
Pas seulement, et c'est là que tu seras décisive : il te faudra expliquer aux gens que nous rencontrerons au cours du voyage tous nos besoins de lieux et d'acteurs. En évitant autant que possible les fausses pistes. Car tout cela suppose des trajets, donc du temps. Si on fait cinquante kilomètres dans une direction à la recherche d'une forêt, il vaut mieux ne pas se tromper.
Cela étant, je ne m'inquiète pas trop. Souvent, les lieux se présentent d'eux-mêmes quand on s'y attend le moins.
Et si après deux semaines nous n'avons pas trouvé tous les lieux envisagés, je serai la seule personne à en porter la responsabilité. Donc pas de pression à ce niveau-là pour toi, surtout pas.
Voilà, j'ai essayé de te décrire toute la complexité de ce qui nous attend. Et, pour finir, je dois aussi te dire que c'est le moment que je préfère dans la réalisation d'un film : car on passe les journées à rêver le film dans les lieux mêmes de sa fiction.

Amitié

Kiyé





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