mardi 1 novembre 2011

Poussière du temps


Le dernier plan du documentaire Ici finit l'exil marque l'entrée dans la fiction Tuk tuk. On y voit deux de ses personnages principaux, le frère chauffeur de tuk tuk, au fond de l'image, et la mère. Le troisième personnage est l'auteur de la photo et des mots de ce journal.

Il s'agit dans un premier temps de repérages dans l'espace imaginaire d'une histoire enracinée dans la mémoire d'une famille. Dans cette mesure-là, tous mes films précédents ont constitué les repérages du film à venir.

Il m'est arrivé souvent d'assister à des répétitions d'amis musiciens, danseurs, acteurs de théâtre. Cette manière d'aller progressivement dans l'espace d'invention d'une oeuvre à venir (sous forme d'ateliers, de discussions, de lectures, d'essais spontanés, de prises de notes, de prise de possession de l'espace...) ressemble à ce que le cinéma désigne par le mot repérages. Ce travail en amont peut sembler très technique. En réalité, il relève d'un geste d'écriture en ce que l'écriture contient une rêverie du monde plus qu'une tentative de le cerner avec des abscisses et des ordonnées, ou de le saisir avec des méthodes spécifiques ou un savoir faire d'artisan. Parce qu'on est encore face à de l'inconnu. 

Entrons dans l'image, un photogramme du film Ici finit l'exil. La mère est de dos, elle entraîne son fils photographe dans la profondeur de champ : appel de la fiction. Le second fils ferme l'espace dans la profondeur, dans l'axe du regard de son frère. Toute l'histoire se jouera à l'intérieur de cet espace qu'on pourrait dire classique par son unité. En observant bien, on peut voir que le frère en arrière plan est en train de manœuvrer pour démarrer son tuk tuk : mise en mouvement du récit. On est, dans cette image, au plus proche de ce que je peux percevoir du Laos de mon enfance. Ce moment a été filmé en 2007 avec une caméra super 8. Rien n'indiquerait la date si je ne recourais pas aux mots. Et la chimie du super 8 ne fait que renforcer le mécanisme de remontée dans le temps.

Caressons l'image. Poussière de la route, poussière du mur d'enceinte qui entoure la pagode du That Luang, poussière du temps. Les pas accomplis par ma mère sont semblables à mes pas d'enfant, sur cette même route que nous parcourions pieds nus. La pagode, malgré son mur élevé, était ouverte à tous les vents. C'était notre terrain de jeu préféré. Ses coins et recoins invitaient à se cacher, à se perdre, à s'inventer des vies.




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